Prostitution : une loi pour la dignité humaine

Alors que la loi fait l’objet d’une QPC le 22 janvier, la co-auteure de la loi et de nombreux ex ministres de tous bords s’engagent : Jean-Marc Ayrault, Najat Vallaud-Belkacem, Laurence Rossignol, George Pau-Langevin, Marie Georges Buffet, Roselyne Bachelot, Benoît Hamon…

Le 6 avril 2016, le Parlement adoptait une proposition de loi permettant à la France de mettre enfin sa législation en conformité avec sa position abolitionniste en matière de prostitution. Moins de trois ans après son adoption, nous,  parlementaires, député.e.s et sénateurs.rices, ancien.nes et actuel.les, anciennes ministres, de sensibilités politiques différentes, réaffirmons solennellement notre engagement pour permettre le succès de la mise en oeuvre d’une loi historique, humaniste, qui correspond à un véritable choix de société. 

 

En 1960, la France ratifiait la Convention des Nations Unies pour la répression de la traite et de l’exploitation de la prostitution d’autrui de 1949. Ce texte fondateur déclarait déjà la prostitution et la traite des êtres humains, qui l’accompagne inexorablement, « incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine ». Un demi-siècle plus tard, le Parlement concrétisait enfin cet engagement. C’est dire la force persistante des idées préconçues dans toutes les franges de la société sur la prostitution, volontiers qualifiée de « plus vieux métier du monde », de « mal nécessaire », tout au plus de « trouble à l’ordre public ». La loi oscillait entre lutte contre le proxénétisme, tolérance envers ceux qui achetaient un acte sexuel et délit de racolage pour les personnes prostituées, maintenues dans une précarité absolue.

 

Ce fut d’abord grâce à la force de leurs témoignages bouleversants que la prostitution est apparue-aux yeux de tous pour ce qu’elle est vraiment- : une violence majeure faites aux femmes, aux plus précaires, aux victimes de l’horreur absolue que constitue la traite (93% des personnes prostituées en France), fragilisées par la vie et par d’autres violences. Obligées de se cacher, de se mettre en danger, avec un taux de mortalité 6 fois supérieur à la moyenne de la population. À ces violences, s’ajoute celle du client, qui impose un acte sexuel par le pouvoir de l’argent.

 

Une démarche inédite au Parlement

Pour comprendre, accompagner cette prise de conscience et finalement légiférer, le Parlement a mis six ans. S’appuyant sur une mission d’information puis une résolution adoptée en 2011 à l’unanimité, dépassant les clivages habituels, il a finalement adopté en avril 2016 une loi globale, avec l’objectif de renforcer les moyens d’enquête et de poursuite des auteurs de la traite des êtres humains et de proxénétisme, d’améliorer la prévention, la protection et l’accompagnement dont peuvent bénéficier les personnes prostituées, et d’interdire l’achat d’acte sexuel.

La France a soulevé un immense espoir dans le monde

Le parti pris de l’abolitionnisme n’a pas manqué de provoquer remous et résistances. Certains présentaient hier la prostitution comme un métier comme un autre. Des femmes – mais surtout des hommes parlant en leur nom – proclamaient : « elles le veulent bien ! ». Mais qu’est-ce que le consentement, quand l’âge d’entrée moyen dans la prostitution est 14 ans ?

 

Au nom de la même idéologie, ils avancent aujourd’hui l’idée d’un acte commercial banal, dans un système de marché qui fonctionne selon les règles de l’offre et la demande. Ils vont même jusqu’à défendre la « liberté d’entreprendre ». Victor Hugo écrivait : « C’est la société achetant une esclave. A qui ? A la misère. A la faim, au froid, à l’isolement, à l’abandon, au dénuement. Marché douloureux. Une âme pour un morceau de pain. La misère offre, la société accepte (…). On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution ». Notre société dit désormais que l’intégrité, la dignité de la personne humaine, la non-marchandisation du corps, l’égalité entre les femmes et les hommes, ces principes fondamentaux, doivent être protégés de la loi du marché.

 

La loi du 13 avril 2016 organise ce changement de société. Les acteurs de terrain ont depuis noté un changement immédiat : plus aucune personne prostituée n’a été arrêtée pour délit de racolage tandis que plus de 3.000 clients ont déjà été interpellés, dont certains ont participé aux premiers stages de responsabilisation organisés dans plusieurs départements. D’autres dispositions commencent seulement à s’appliquer : les premiers parcours de sortie de la prostitution, donnant accès à un titre de séjour pour les victimes étrangères et à une aide financière, ont été octroyés, il y a quelques mois seulement.

 

La France est maintenant l’objet d’attentes fortes : le monde entier nous regarde. Nous ne mesurons sans doute pas encore le poids de ce choix historique. Mais au-delà des impatiences que nous entendons et qui sont aussi les nôtres, ne nous y trompons pas : c’est bien le fondement même de l’abolition qui est une nouvelle fois attaqué par ceux qui militent depuis toujours contre cette loi.

 

Notre volonté est de redonner toute sa vigueur à la défense et à la promotion du principe universel de la dignité humaine.

 

Signataires :

Catherine COUTELLE, ancienne présidente de la DDF, co-auteure de la loi

Maud OLIVIER, ancienne députée, co-auteure et rapporteure de la loi « lutter contre le système prostitutionnel »

Guy GEOFFROY, ancien député, Président de la Commission spéciale

Jean-Marc AYRAULT, ancien Premier Ministre

Najat VALLAUD-BELKACEM, ancienne Ministre

Laurence ROSSIGNOL, sénatrice, ancienne Ministre

George PAU-LANGEVIN, députée et ancienne Ministre

Marie-Georges BUFFET, députée, ancienne Ministre

Yvette ROUDY, ancienne Première ministre des Droits des Femmes

Roselyne BACHELOT, ancienne Ministre

Nicole PERY, ancienne Ministre

Hélène CONWAY-MOURET, sénatrice ,ancienne Ministre

Benoît HAMON, ancien député et Ministre

Ségolène NEUVILLE, ancienne députée et Secrétaire d’Etat

Pascale BOISTARD, ancienne députée et Secrétaire d’état

Danièle BOUSQUET, ancienne députée, Présidente  de la mission d’information

 

Marie-Françoise CLERGEAU, Martine LIGNIERE-CASSOUS, Pascale CROZON, Martine CARILLON COUVREUR, Patricia ADAM, Eva SAS, Annick LE LOCH, Sylviane ALAUX ,Véronique MASSONEAU, Catherine QUERE,Sandrine DOUCET, Odette TRUPIN, Catherine PICARD,Françoise DESCAMPS-CROSNIER, Anne Yvonne LE DAIN, Martine FAURE, Martine DAVID, Régine POVEDA : anciennes députées.

 

Sylvain WASERMAN,Laurence DUMONT, Anne GENETET, Sylvie TOLMONT, Maina SAGE, Sophie AUCONIE, Sacha HOUILLIER, Maud PETIT, Frédéric REISS, Marietta KARAMANLI, Eric ALAUZET,Isabelle RAUCH, Fabienne COLBOC, Stéphane VIRY, Jean-Luc LAGLEIZE, Gwendal ROUILLARD : député.e.s

 

Laurence COHEN, Claudine LEPAGE, Michelle MEUNIER, Maryvonne BLANDIN, Martine FILLEUL,Marie-Pierre MONIER : sénatrices.