3 questions à:Céline Piques, l’industrie pornographique, les conséquences pour les victimes et les moyens pour mettre fin à l’impunité

Céline Piques est engagée à Osez le Féminisme ! depuis plus de 10 ans : membre du Conseil d’administration depuis 2014, membre du Bureau et porte-parole depuis 2017, successivement trésorière et présidente, elle fut de tous les combats de l’association : lutte contre les violences masculines #METOO, défense de la loi abolitionniste de 2016, lutte contre les stéréotypes sexistes et pour une éducation sexuelle féministe, lutte contre la pornocriminalité, lutte contre les inégalités salariales et la précarité des mères. 

 

Elle est, par ailleurs, autrice d’un essai féministe « Déviriliser le monde » et consultante en égalité femmes-hommes. Céline Piques était précédemment économiste, ayant travaillé 15 ans dans le secteur bancaire, après un diplôme d’ingénieur Centrale-Supélec et un double master en mathématiques et économie.

 

Céline Piques est membre du Haut Conseil à l’Egalité depuis 2022, et fut lors de son premier mandat, présidente de la Commission Violences et rapportrice du rapport « Pornocriminalité : mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique ».

 

En quoi la pornographie n’est pas du cinéma, mais un système de domination patriarcale et une industrie d’ampleur d’exploitation sexuelle ?

 

Étymologiquement, le mot pornographie est composé du substantif grec « pornê » qui signifie esclave sexuelle en grec ancien. La pornographie est ainsi la représentation de l’esclavage sexuel des femmes, pas celle de la sexualité. Le modèle économique des sites pornographiques étant la monétisation du trafic, leurs vidéos rivalisent de pratiques les plus violentes, les plus dégradantes possibles dans une infernale « course aux clics ». Les femmes y sont classées par catégories et par mots-clefs. Sur les quatre plus grandes plateformes comptant plusieurs dizaines de millions de vidéos accessibles gratuitement et en illimité, on compte 1,4 million de vidéos répondant à des pratiques violentes sadiques (étranglement, bukkake, gangbang, étouffement, torture…). On compte 1,3 million de vidéos pédopornographiques mettant en scène des “écolières” ou des rapports incestueux, ce qui participe directement à la banalisation et à l’érotisation de la pédocriminalité. On compte aussi 1,5 million de vidéos faisant l’apologie de la haine raciale, mobilisant des stéréotypes racistes et coloniaux. 

 

Et ce qui est dramatique, c’est que dans le porno, les femmes, forcées à sourire, semblent adorer être violentées, insultées, humiliées. Les mythes de la culture de viol sont omniprésents : “elle dit non, mais en forçant, en fait elle aime ça, car c’est une salope”. Les violences sont érotisées. Les corps des femmes et des filles y sont morcelés, ce qui participe également à leur déshumanisation. Au final, une étude scientifique démontre que 90% des vidéos présentent de la violence sexuelle, physique ou verbale contre les femmes et les filles.

 

Dans le cinéma, les actes sexuels comme les actes de violences sont simulés, à contrario de la pornographie. La pornographie n’est pas du cinéma. Ces violences perpétrées sont réelles. Les souffrances des femmes et des filles sont elles aussi réelles et souvent parfaitement visibles à l’écran.

 

L’industrie pornographique nous fait croire que des “contrats” sont signés en bonne et due forme. Mais pour qu’un contrat soit licite, il faut que le contenu du contrat soit licite. Or l’achat d’un acte sexuel ou la commission d’actes de violence physique ou sexuelle sont pénalement répréhensibles en droit français.

Elvire Arrighi, cheffe de l’OCRTEH, lors de son audition au Sénat en 2022 déclarait : « C’est bien l’esprit de notre droit de dire que, même si l’intérêt économique est partagé, personne ne doit profiter matériellement des services sexuels tarifés d’un tiers. La notion de dignité humaine est objective et supplante dans notre droit celle du consentement, qui est, elle, subjective, et donc sujette à manipulation. […] Le droit pénal prime, peu importe le consentement des actrices, peu importe les contrats signés. ».

 

Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, précise même, lors de son audition au Sénat : « on ne peut consentir à n’importe quoi (…) On ne peut pas consentir à sa propre torture, à sa propre humiliation. Je ne peux pas imaginer que l’on réduise cette affaire à des contrats signés »

 

Les contrats sont, au contraire, des moyens de coercition des pornocrates, imposant l’idée que les femmes ne peuvent plus ensuite refuser les actes sur le tournage, ni porter plainte en cas de viol. Le contrat oblige. Il permet aux pornocrates d’extorquer un “consentement” vicié, de silencier les femmes victimes de violences.

 

Quelles sont les conséquences pour les victimes exploitées par cette industrie et les consommateurs et consommatrices ?

 

Comment sont obtenues ces images ? De la production à la diffusion de vidéos pornographiques, un véritable système d’exploitation sexuelle à l’échelle mondiale s’est mis en place.

En France, les procédures judiciaires, comme celles de “French Bukkake” et de “Jacquie et Michel”, dévoilent un système bien rodé de viols en réunion et de traite sexuelle, avec des techniques de manipulation et de rabattage propres aux modes opératoires des proxénètes.

 

Dans l’affaire “French Bukkake”, 42 femmes sont parties civiles et feront face lors du procès à 17 accusés, qui devront répondre des accusations de viols aggravés avec circonstances aggravantes de sexisme et de racisme, de proxénétisme aggravés ou de traite des êtres humains. Dans l’affaire “Jacquie et Michel”, en cours d’instruction, plus d’une dizaine de femmes se sont constituées parties civiles pour des qualifications similaires.

 

Grâce au courage des femmes qui osent parler, les procès, espérons‑le, seront exemplaires et laisseront les représentations faussées discriminantes en dehors des débats pour s’attacher à la réalité des atteintes graves portées aux femmes et plus largement à notre société.

 

Une fois posé par la pornographie que l’exposition sexuelle des femmes et de leur humiliation était excitante (et rémunératrice), rien d’étonnant de trouver aussi sur les plateformes des contenus sexuels « volés ». Selon l’enquête du New York Times, The “Children of Pornhub”, publié en 2020, le site Pornhub est « infesté de vidéos de viols ». Pornhub est poursuivi par des dizaines de plaignantes aux États‑Unis pour trafic sexuel et pédocriminalité.

 

Sans compter toutes les nouvelles formes d’exploitation sexuelle sur les réseaux sociaux comme OnlyFans qui attirent non seulement un public mais aussi des camgirls souvent très jeunes, voire mineures. OnlyFans sert trop souvent de lieu de recrutement et d’exploitation pour les proxénètes.

 

 

Elvire Arrighi, cheffe de l’OCRTEH en 2023 constatait  une uberisation de la prostitution et une porosité entre pornographie, caming et réseaux de proxénétisme : « derrière ces camgirls, se cachent des organisations criminelles structurées », déclarait‑t‑elle au HCE, venant confirmer le lien déjà existant entre le monde prostitutionnel et pornographique.

 

Les sites pornographiques étant parmi les plus visités du monde, ce trafic sexuel y est des plus fructueux.

La pornographie est massivement consommé par les majeur.es comme par les mineur.es, dès qu’elles et ils ont un téléphone portable. En 2023, selon les chiffres de l’ARCOM, 55% des hommes, mais aussi 51% des garçons de 12-13 ans, 59% des 14-15 ans, 65% des 16-17 ans visitent régulièrement des sites pornographiques (contre respectivement, 20% des femmes et 30% des filles).

 

De nombreuses études scientifiques prouvent, sans surprise, que la pornographie accroit les stéréotypes sexistes et la culture du viol, mais aussi les violences sexistes et sexuelles. La pornographie entretenant une confusion entre sexualité et violences, les consommateurs sont plus souvent violents et les consommatrices sont plus souvent victimes.

 

L’exposition des mineur.es à la pornographie est interdite par la loi depuis 1994. Une 1ère loi a été votée en 2020, une 2ème en 2024 afin de rendre cette interdiction effective, en obligeant les plateformes pornographiques à contrôler l’âge des utilisateurs. Depuis juin 2025, l’ARCOM a ciblé 17 sites pornographiques, ce qui a abouti à une baisse de 44% de consommation de pornographie chez les mineurs entre octobre 2024 et octobre 2025 (hors VPN)

 

 

Quels sont les moyens pour en finir l’impunité de l’industrie pornographique ?

 

Le rapport du Haut Conseil à l’Egalité a publié des recommandations qui ne demandent qu’à être déployées :

  • Modifier la définition du proxénétisme

La France est un pays abolitionniste qui lutte contre le proxénétisme et qui soutient que la prostitution est une violence sexuelle et que l’achat d’acte sexuel tarifé est pénalement repréhensible. La définition légale du proxénétisme doit englober toute forme d’exploitation sexuelle qu’elle soit en ligne ou hors ligne. Plusieurs propositions de loi sont en préparation sur le sujet, notamment celle de la sénatrice Laurence Rossignol. La proposition de loi intégrale contre les violences sexistes et sexuelles, présentée le 24 novembre 2025, prévoit des dispositions en ce sens, ainsi que des mesures visant à lutter contre le partage de vidéos sexuelles non consenti.

 

  • Lutter contre les contenus à caractère sexuel sans consentement.

La diffusion de viols (ou même simplement des vidéos à caractère sexuel diffusées sans consentement) est une violence en soi, une revictimisation permanente des victimes aux conséquences psychiques gravissimes. Ces femmes sont perpétuellement reconnues, harcelées. Le traumatisme des violences filmées se prolonge sans fin avec la diffusion illimitée et sans contrôle des vidéos. La loi doit prévoir un retrait effectif en 48h de tout contenu à caractère sexuel à la demande de la personne filmée.

 

  • Rendre effectif le contrôle d’âge sur tous les sites pornographiques, et donner à l’ARCOM les moyens de cette mission.

 

  • Lutter contre les contenus illicites

Contrairement à ce défendent les pornocrates, la liberté d’expression n’est pas sans limites, ni la “liberté artistique”. Les discours de haine misogyne, de haine raciale, l’apologie de crime (viol et pédocriminalité notamment), la diffusion de violences sexistes et sexuelles sont pénalement répréhensibles. Le DSA (Digital Service Act), la directive européenne qui régente la régulation des plateformes, doit pleinement s’appliquer pour permettre de sanctionner, voire de bloquer, les sites pornographiques contenant de manière systémique des contenus illicites.

 

 Pour aller plus loin, des ressources :