Affirmer que la loi de 2016 aggrave la situation des personnes prostituées ne fait aucun sens

Tribune de professionnel-le-s de la santé, parue le 12/04/2018, sur le site du JDD.

 

Premier danger pour la santé des personnes prostituées : la prostitution elle-même

Il y a deux ans, la France se dotait d’une loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, par plusieurs moyens : la dépénalisation des personnes prostituées, le renforcement de leurs droits et la création d’un dispositif institutionnel de sortie de prostitution pour celles qui le souhaitent, une éducation à la sexualité renforcée, basée sur l’égalité femmes hommes et incluant une sensibilisation à la non marchandisation des corps, et enfin, l’interdiction d’achat d’actes sexuels et la responsabilisation des clients de la prostitution.

 

A l’heure où certains voudraient nous faire croire que la situation des personnes prostituées est aggravée par la pénalisation des clients, en tant que médecins, nous rappelons que la prostitution en elle-même a toujours constitué un danger pour la santé des personnes prostituées. Les violences ne se sont pas abattues sur les personnes prostituées depuis le 13 avril 2016. Leur santé ne s’est pas subitement dégradée. Il faut rétablir des faits : la précarité, l’insécurité et un état de santé détérioré ont toujours été le lot quotidien des personnes prostituées.

Selon l’étude ProSanté de 2013, au moins 38% des personnes prostituées avaient été victimes de viols (contre moins de 7% pour les femmes en général), 51% avaient subi des violences physiques, 64 % des violences psychologiques au cours des 12 derniers mois, violences dont les premiers auteurs sont les clients, un « détail » prouvé par les enquêtes mais étrangement passé sous silence.

 

L’espérance de vie des personnes prostituées très écourtée

La prostitution a pour conséquences une espérance de vie très écourtée, un taux de mortalité très supérieur à ce qu’il est dans la population générale, dû notamment à des féminicides mais aussi à l’usage de drogues, à des accidents, à des maladies chroniques non traitées.

L’acte sexuel tarifé en soi n’est pas sans conséquences. Quand on subit dix ou vingt fois par jour un acte sexuel non désiré, la réalité insoutenable de l’évènement entraîne une dissociation du corps et de l’esprit de la victime, la mémorisation de l’évènement se fait par des circuits cérébraux anormaux, les informations de temps et d’espace ne sont pas enregistrées et plus tard la personne revivra sans cesse la même panique, la même angoisse à l’occasion de la moindre sensation évocatrice. Les conduites dangereuses ou addictives (drogues, alcool, psychotropes) seront recherchées pour y échapper.

 

Cela s’appelle le stress post-traumatique. 68 à 80% des femmes en situation de prostitution en seraient atteintes. Il a un impact sur la mémorisation du quotidien et, on le sait aujourd’hui, sur l’organisme dans son ensemble, notamment sur le système cardio-vasculaire (risques d’infarctus, d’hypertension), sur le système endocrinien avec possibilité de développer un diabète, sur le système immunitaire, et des pathologies hématologiques peuvent être observées sur le long terme.

 

Pas de lien entre pénalisation des clients et prévalence du VIH

Enfin, établir artificiellement un lien de cause à effet entre interdiction d’achat d’actes sexuels et taux de prévalence du VIH est profondément malhonnête.  Les pays ayant adopté des positions réglementaristes visant à encadrer la prostitution comme les Pays-Bas et l’Espagne (organisation de la prostitution, autorisation de l’achat d’actes sexuels, légalisation du proxénétisme) n’ont pas des taux de séroprévalence du VIH chez les personnes prostituées particulièrement bas, bien au contraire.

Et le dernier article paru en 2016 dans The Lancet affirme noir sur blanc qu’on ne constate aucune différence notable entre les pays qui pénalisent les clients et ceux qui permettent l’achat et la vente d’actes sexuels. Par ailleurs, le pays ayant selon cette étude le plus haut taux de prévalence du VIH est la Lettonie, qui dépénalise les clients de la prostitution.

La prévention des risques infectieux est un pilier de la prise en charge des personnes prostituées. Mais cela ne peut pas être la réponse unique à des agressions graves, multiples et diversifiées de leur santé. La situation sanitaire et sociale des personnes prostituées ne peut se résumer aux maladies sexuellement transmissibles, comme le soulignait l’IGAS en 2012. Nous ne pouvons que regretter que des associations dites de santé s’associent à des lobbys promouvant l’abrogation des lois contre le proxénétisme plutôt que de s’intéresser aux nouveaux outils créés pour répondre globalement à l’enjeu, et améliorer ainsi concrètement la situation des personnes prostituées.

 

La loi de 2016 renforce l’accompagnement des personnes prostituées

Ce n’est pas servir les victimes que d’encourager le développement du système prostitutionnel. En tant que médecins, nous nous basons sur des faits. Et affirmer que cette nouvelle loi, qui diminue le recours à la prostitution et renforce les droits et l’accompagnement des personnes prostituées, aggrave leur situation ne fait aucun sens. Notre engagement en tant que médecins n’est pas d’aménager la violence mais de contribuer à la faire disparaître. Avec empathie et respect des personnes, seules décisionnaires. La loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel commence à produire des effets très positifs et l’implication des professionnel.le.s de santé est essentielle pour que les violences vécues soient entendues et toutes leurs conséquences traitées. »

 

Signataires

Dre Emmanuelle PIET, présidente du Collectif Féministe contre le Viol,

Dr Patrick PELLOUX, médecin PH urgentiste au SAMU de Paris, Président de l’AMUF, écrivain, chroniqueur journaliste et médical,

Dre Muriel SALMONA, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et victimologie,

Dre Ségolène NEUVILLE, praticienne hospitalière, spécialiste des maladies infectieuses, ancienne députée,

Dre Marie-Hélène FRANJOU, spécialiste en santé publique, présidente de l’Amicale du Nid,

Dre Ghada HATEM-GANTZNER, chef de gynécologie obstétrique spécialiste de l’excision et directrice de la Maison des Femmes à l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis (93),

Dre Annie-Laurence GODEFROY, médecin généraliste, membre du bureau de la Coordination Française pour le Lobby Européen des Femmes, en charge de la commission droits sexuels et reproductifs,

Dre Judith TRINQUART, médecin légiste de l’unité médico-judiciaire de l’hôpital Pontoise Gonesse (95),

Dre Marianne BARAS, médecin légiste de l’unité médico-judiciaire de l’hôpital Pontoise Gonesse (95),

Dr Frédéric BOURSIER, médecin légiste de l’unité médico-judiciaire de l’hôpital Pontoise Gonesse (95),

Dre Sarah ABRAMOWICZ, spécialiste de l’excision et de chirurgie réparatrice à l’hôpital de Montreuil (93),

Dre Sandrine VIGUIE, Responsable du Centre de Planification Familiale et PMI de Sarcelles (95).