De l’importance de l’identification formelle des victimes de la traite des êtres humains

L’avocat des parties attaquant la loi du 13/04/2016 auprès du Conseil Constitutionnel est allé rechercher – en 2019 – un chiffre du bilan d’activité 2015 de l’Amicale du Nid et l’a brandi devant le Conseil et les médias. D’après lui, l’Amicale du Nid aurait établi qu’en 2015, seules 17% des personnes en situation de prostitution auraient été victimes de traite. Non seulement cette interprétation est erronée – l’AdN n’ayant jamais eu la prétention d’affirmer que les chiffres relatifs au public qu’elle rencontre soient totalement transférables à l’ensemble de la situation en France – mais elle ne tient pas compte du contexte.

 

Face à la non application par la France de ses devoirs de protection des victimes de traite, l’association a décidé de demander à ses équipes sociales de compter le nombre de victimes de traite rencontrées, en appliquant de façon stricte des critères d’identification issus d’un travail sur les indicateurs développés au niveau européen ; cette nouvelle tâche s’est mise en place progressivement. L’objectif est d’obtenir que l’association soit officiellement partie prenante du processus d’identification des victimes, première étape de leur accès à leurs droits.

 

Pourquoi l’identification formelle des victimes de traite est-elle importante ?

La traite des êtres humains est reconnue universellement comme un crime grave, une atteinte fondamentale aux droits humains. Elle fait l’objet de nombreux traités internationaux, tant au niveau de l’ONU que de l’Europe. Ces traités stipulent que dès lors qu’il existe des « motifs raisonnables » de penser qu’une personne est victime de traite, elle devrait être protégée.

 

Selon les termes de la Convention de Varsovie du Conseil de l’Europe et de la directive de 2011/36/UE de l’Union Européenne, elle devrait pouvoir bénéficier a minima d’un « délai de rétablissement et de réflexion » d’un mois, pendant lequel elle peut être hébergée et avoir les moyens de vivre.

 

D’où l’importance de cette identification formelle.

 

Qui peut identifier formellement les victimes ?

En France, l’identification est la prérogative exclusive de la police et de la gendarmerie qui doivent évaluer ces « motifs raisonnables » même en l’absence de plainte.

 

Or, il est bien évident que les victimes sous emprise ne vont que de façon exceptionnelle, aller d’elles-mêmes dans un commissariat de police.

 

Certains pays, la Belgique, la Grande-Bretagne[1], ont désigné des associations qui participent au processus d’identification ; dans ces pays le nombre de victimes identifiées selon ce processus est largement plus important qu’en France.

 

L’Amicale du Nid alerte sur la non reconnaissance des victimes de traite en France et propose que les associations soient partie prenante du processus

L’Amicale du Nid accompagne depuis sa création en 1946 des victimes de la violence grave qu’est la prostitution, parmi lesquelles les victimes de traite à des fins de prostitution. Elle a décidé, pour démontrer sa crédibilité en matière d’identification formelle des victimes de traite, de travailler sur les indicateurs développés au niveau européen.

 

Ce travail a porté ses fruits progressivement à partir de 2015 et l’association a affiché dans ses bilans d’activité annuels le nombre de personnes rencontrées ou accompagnées qui sont, sans nul doute possible, victimes de traite des êtres humains. Logiquement, ces chiffres croissent au fur et à mesure de l’intégration des critères d’identification par les équipes sociales.

 

L’objectif n’est pas d’estimer le nombre total de personnes que l’on pense être victimes de traite, nombre qui serait bien plus élevé, mais d’établir un chiffre fiable du nombre de personnes que l’on peut avec certitude, selon des critères rigoureux, identifier comme victimes. Toutes ces personnes auraient dû avoir le droit à être protégées.

 

Ainsi, en 2017, 1 374 victimes ont été ainsi identifiées avec certitude lors des allers-vers de l’association – qui est loin de couvrir tout le territoire national.

 

Que fait la France pour ces victimes ? Elle les ignore, les laisse dans ces situations de violence extrême, d’exploitation et d’esclavage.

 

Quand prendra-t-elle des mesures volontaristes pour assurer son devoir de protection ?

 


[1] En Grande-Bretagne, en 2015 – 2016, 7 071 victimes de TEH ont été identifiées par la police, les associations, la police aux frontières, etc. 2 700 ont bénéficié d’une forme d’assistance. Dans la même période, seules 1 516 victimes de traite ont été identifiées par la police en France et, à notre connaissance, étant donné qu’il n’y a pas de chiffres officiels, aucune n’a bénéficié du délai de rétablissement et de réflexion.

Source : Data collection on trafficking in human beings in the EU, published by the European Commission, 2018