Etude ASPIRE (Accès aux soins, Santé et Prostitution):une recherche participative sur les réalités et les besoins des personnes en situation de prostitution menée par l’INSERM et le Mouvement du Nid, avec la participation active de l’Amicale du Nid

Ce projet de recherche a été réalisé grâce au soutien de l’INSERM (financement d’amorçage Sciences et société) et de l’Agence nationale de la recherche (ANR- Appel à projets Science avec et pour la société – Recherches participatives).

 

Mme Fabienne El Khoury, chercheuse en épidémiologie sociale à l’Inserm et à la Sorbonne Université, a fourni les analyses de la recherche pour la réalisation de cette synthèse. Pauline Spinazze (Mouvement du Nid), a assuré la coordination de l’étude. Marie-Hélène FRANJOU, membre du bureau de l’Amicale du Nid, médecin de santé publique, a représenté notre association dans l’élaboration du questionnaire, et la relecture du rapport d’étude.

 

Lancée en juillet 2024, cette étude a été conduite selon une approche mixte avec 258 personnes en situation de prostitution ou l’ayant été qui ont répondu au questionnaire (données quantitatives, dont 32,5% par des professionnel.les de l’Amicale du Nid) et 45 entretiens semi-directifs (données qualitatives) tant auprès de personnes concernées par la prostitution que de leurs accompagnant·es bénévoles ou salarié.es, dans 29 villes de l’Hexagone et d’Outre-mer (Martinique).

 

Retenons de cette étude, confirmant nos observations issues de la parole des personnes concernées :

 

Un état de santé très dégradé, lié à un continuum massif de violences

 

Des violences omniprésentes qui dégradent massivement l’état de santé  – violences surreprésentées par rapport à la population générale :

  • 95 % des personnes interrogées ont subi au moins une violence en dehors de la prostitution ;
  • 85 % ont été victimes de violences sexuelles ;
  • Les violences sont multiformes : violences conjugales (65 % des femmes : avant, pendant ou après la prostitution), violences familiales, migrations traumatiques, séquestrations, mariages forcés, viols, inceste, exposition à des morts ou meurtres pendant les parcours migratoires.

Violences auxquelles s’ajoutent celles propres au système prostitutionnel :

  • 85 % ont été forcées par des clients à des actes non désirés ;
  • 79,5 % déclarent des violences physiques de clients ;
  • 93 % rapportent des violences verbales (insultes, menaces, dénigrement).

Ces éléments conduisent à une altération sévère de la santé perçue ; un affaiblissement de la capacité à demander des soins ; une banalisation des violences et une dissociation traumatique qui retardent la prise de conscience des symptômes.

 

Santé mentale : l’urgence centrale et la plus négligée

 

Les données sanitaires de l’étude mettent en évidence une situation plus grave que celle observée dans d’autres populations exposées aux violences extrêmes.

Des chiffres alarmants :

  • 72 % présentent des symptômes de stress post-traumatique (contre 5–12 % dans la population générale).
  • 51 % présentent des risques de symptômes dépressifs.
  • Troubles du sommeil très répandus : sommeil agité, fractionné, insomnie durable, fréquemment liée aux violences et au stress chronique.
  • Sentiments rapportés : fatigue intense, anxiété permanente, pensées négatives voire suicidaires, honte, rupture sociale, perte de confiance, difficultés relationnelles et sexuelles.

Un impact très positif de la sortie de la prostitution sur la santé mentale avec :

  • une réduction du stress et des angoisses ;
  • un retour progressif au sommeil normal ;
  • un réveil corporel qui met parfois en lumière des douleurs longtemps tues ;
  • une reconnexion émotionnelle permise par la fin de la dissociation.

L’accompagnement psychologique apparaît comme un élément déterminant dans la stabilisation et la reconstruction.

 

Santé physique : une accumulation de troubles, souvent invisibilisés

 

Une majorité des personnes en situation de prostitution souffre de multiples problèmes de santé

  • 68 % déclarent entre 1 et 6 problèmes de santé.
  • Troubles les plus fréquents : gynécologiques (infections répétées, mycoses, fibromes, règles douloureuses), troubles digestifs , douleurs articulaires, maux d’estomac, diabète, anémie, hypertension, troubles alimentaires (72 %).

 

En matière de santé sexuelle

La prévention VIH/IST fonctionne relativement bien : 66 % se font dépister au moins une fois par an.

Mais plusieurs indicateurs demeurent préoccupants :

  • 59 % des femmes ont vécu au moins une IVG, en moyenne 2 IVG par femme, soit presque 3 fois plus que la population générale.
  • 27 % ont subi une excision.
  • Les violences sexuelles répétées accentuent les douleurs, infections et difficultés gynécologiques.

 

Des obstacles majeurs d’accès aux soins, aggravant les risques et les dommages

 

Des barrières administratives et institutionnelles inadmissibles :

  • 42 % ne bénéficient que de l’AME, qui ne couvre pas tous les traitements.
  • Rejets illégaux de l’AME, consultations expéditives, absence de repérage des violences.

Précarité et isolement :

  • 75 % vivent dans un logement précaire.
  • Barrière de la langue, manque d’informations, peur du jugement, tabous culturels sur la santé mentale.

 

Violences institutionnelles : Lenteur des procédures de titres de séjour ; difficulté d’accès à l’hébergement pourtant prioritaire pour les victimes de traite ; renoncement aux soins faute d’interprètes, d’écoute, d’accueil bienveillant.

 

Effets de la sortie de la prostitution sur la santé : une dynamique positive mais fragile

 

Selon les entretiens qualitatifs, la sortie permet : une diminution des douleurs et du stress, une amélioration du sommeil et de l’alimentation, une reprise de contrôle sur son corps, un accès plus facile aux soins grâce à la confiance restaurée dans la relation thérapeutique.

Le parcours de soins s’organise alors autour de bilans médicaux complets, d’ateliers de groupe (sport, art-thérapie, santé sexuelle, parentalité), de psychologue et/ou psychiatre, d’un accompagnement social global.

Les personnes valorisent particulièrement : la prise de temps, l’écoute non jugeante, la compréhension des mécanismes traumatiques, la continuité de l’accompagnement.

 

Les besoins de santé identifiés comme prioritaires

 

Les données révèlent une convergence claire autour de plusieurs besoins :

  • La reconnaissance et repérage des violences : questionnement systématique par les soignant·es, formation obligatoire à la prostitution, aux violences sexuelles et au psychotraumatisme.
  • En santé mentale : l’accès prioritaire à des psychologues et psychiatres formés au traumatisme complexe, le développement des centres de psychotraumatisme.
  • En santé sexuelle et gynécologique : le suivi régulier, contraception, accompagnement post-IVG, une prévention continue et adaptée.
  • en matière d’accès administratif aux soins : l’AME pleinement acceptée et renforcée, des informations linguistiquement accessibles, un interprétariat facilité.
  • Le besoins d’espaces sécurisés : lieux dédiés, non mixtes, permettant expression, ateliers, groupes de parole.

 

En conclusion, l’enquête ASPIRE montrent une situation sanitaire extrêmement préoccupante chez les personnes prostituées : santé mentale gravement altérée, multiples affections physiques, forte exposition aux violences, et accès aux soins très entravé.

La sortie de la prostitution apparaît comme un levier de santé majeur, mais exige un accompagnement spécialisé, féministe, sensibilisé aux psychotraumas et un renforcement global des dispositifs de santé, de protection et d’insertion.