Regards croisés sur la parentalité – portrait de professionnelles

Fin 2024, l’Amicale du Nid a lancé la production d’un nouveau Guide Repère relatif à la parentalité dans le contexte des violences prostitutionnelles. Si dans l’imaginaire collectif, prostitution et parentalité sont souvent présentées comme antagonistes, cette réalité est bien présente à l’Amicale du Nid qui accueille quotidiennement parents et enfants de tous âges.

Pour mieux comprendre les enjeux liés à ce sujet émergeant, la parole est donnée à Marina Giraud, chargée de mission parentalité au siège, et Laurence Le Diouris, coordinatrice parentalité en Seine-Saint-Denis.

 

  • En quoi consiste vos missions à l’Amicale du Nid ?

 

Marina : Je suis chargée de mission Parentalité au siège de l’Amicale du Nid. Concrètement, je travaille à la rédaction d’un guide intitulé « Prostitution et Parentalité » qui vise à outiller les professionnel·les sur le soutien à la parentalité, que ce soit pour les mères accompagnées par l’association mais aussi pour les parents de mineur·es en situation d’exploitation sexuelle.

 

Laurence : Je suis coordinatrice parentalité à l’Amicale du Nid 93, de formation éducatrice de jeunes enfants. Je suis en charge d’accompagner le développement et la structuration d’actions de soutien à la parentalité et d’actions spécifiques à destination des enfants co victimes accompagnés sur les différents services de l’AdN93.

 

  • Pourquoi s’intéresser à la parentalité des femmes en situation de prostitution ?

 

Marina : D’abord parce que la parentalité est un enjeu majeur à l’Amicale du Nid, surtout quand on sait que 45% des personnes hébergées par l’association (CHRS, CHU, HUDA) sont des enfants. Il y a des enjeux de protection de l’enfance qui se posent quand on évoque la parentalité des personnes en situation de prostitution.

 

Laurence : Spontanément je répondrais : pour l’avenir des enfants. Les répercussions des violences subies par les femmes accompagnées peuvent tellement être dévastatrices pour leurs enfants qu’il faut soutenir au maximum les mères.

 

Quelles répercussions des violences prostitutionnelles sur la parentalité et sur les enfants ?

 

Marina : Il faut faire attention à ne pas pathologiser la situation de prostitution des mères : la prostitution ne produit pas inévitablement des « mauvaises mères », elle est bien souvent un symptôme et découle d’une stratégie consciente des agresseurs qui exploitent les vulnérabilités des victimes. Il faut prendre en compte le cumul des vulnérabilités, donc la précarité économique, l’isolement, les violences subies avant, pendant et après le parcours migratoire et l’absence de logement pérenne qui créé un environnement insécurisant pour la mère et les enfants. Les difficultés des mères accompagnées par l’Amicale du Nid ne relèvent donc pas que de leur responsabilité immédiate mais surtout d’un manque de politiques de soutien et de protection efficace.

 

Laurence : Les violences prostitutionnelles que subissent les mères peuvent impacter leur relation à leur·s enfant·s, leur rôle parental et aussi directement l’enfant. Les mères victimes du système prostitutionnel sont elles-mêmes fragilisées, en souffrance et peuvent montrer des difficultés à s’occuper de leur enfant voire d’être en lien avec eux. En ce qui concerne les répercussions sur les enfants il n’est pas rare de constater des troubles de l’attachement, des difficultés dans la construction du lien psychique et affectif de l’enfant. On peut noter des conséquences physiques et comportementales (troubles du sommeil, alimentaires, hypervigilance, conduite à risque…), des conséquences affectives (problème dans le lien d’attachement, comportement violent, manque d’émotion…) Les parcours de vie chaotiques, les traumatismes subis et le continuum des violences subis chez les mères peuvent se transmettre.

 

Marina : Exactement, comme le dit Laurence, la question des répercussions interroge aussi les logiques de transmission. Les données récoltées auprès des Missions Mineur·es montrent que la majorité des jeunes accompagné·es ont un parcours marqué par la répétition de violences antérieures à la situation d’exploitation sexuelle, et en particulier les violences intrafamiliales. Sans tomber dans le déterminisme, nous ne pouvons pas ignorer les liens existants entre violences subies dans l’enfance et risques d’exploitation sexuelle.

 

  • Quels moyens sont déployés pour soutenir la parentalité des femmes en situation de prostitution à l’Amicale du Nid ?

 

Laurence :

  • Des actions collectives de prévention et sensibilisation sont organisées pour les familles
  • Partenariats spécifiques protection de l’enfance, des structures de soutien à la parentalité et de soins spécifiques pour travailler autour des violences subies par les enfants (enfants témoins et/ou victimes)
  • Point dossiers enfants : croiser les regards des différent.es professionnel.les (EJE + TS +Hote d’acceuil et d’hébergement) qui suivent la famille.
  • Sensibilisation aux professionnels de l’AdN sur les répercussions des violences sur les enfants
  • Sorties-activités comme outils d’observations et qui permet d’élaborer des axes de travail avec la mère et l’enfant
  • Les entretiens individuels avec les enfants
  • Accompagnement à la parentalité dès l’annonce de la grossesse.
  • Accompagnement à la parentalité des mères qui ont des enfants au pays ou placés
  • Travail d’élaboration avec les mères pour qu’elles fassent des liens entre leur propre violences subies et les répercussions que ça peut avoir sur leurs enfants.

 

  • Le soutien à la parentalité peut-il être pensé comme un outil d’émancipation du système prostitutionnel ?

 

Marina : La recherche universitaire qualifie la parentalité des personnes en situation de prostitution de facteur à deux volets. Le fait de devenir mère peut à la fois constituer un facteur déclencheur de l’entrée en prostitution, notamment pour subvenir aux besoins de l’enfant, mais aussi devenir une motivation pour sortir du système prostitutionnel, parce qu’on ne veut pas que les enfants à venir subissent la même chose.

 

Laurence : Même si pour certaines femmes l’arrivée d’un enfant peut permettre l’arrêt de l’activité prostitutionnelle, ou que le soutien à la parentalité permet une prise de consciences des dangers sur le développement physique, psychique et affectif de l’enfant, il me semble primordial d’accompagner la dyade pour ne pas faire porter un poids trop lourd de conséquence à l’enfant. A contrario, il peut être parfois difficile, pour les mères, d’envisager le soutien à la parentalité comme outil d’émancipation dans les cas d’enfants issus de viols (de clients, de proxénètes, etc…).

 

  • Quelle vision pour l’avenir de l’Amicale du Nid concernant le soutien à la parentalité ?

 

Laurence : Une vision optimiste car nous devons l’être pour l’accompagnement des enfants. J’ai l’impression que la question de la parentalité et plus précisément la place de l’enfant questionne et interpelle les équipes. Il y a une vraie volonté de se former pour accompagner les enfants, à l’Amicale du Nid, qui nécessite un accompagnement bien particulier. Le soutien à la parentalité et la prise en compte des enfants victimes doivent être un axe majeur du projet associatif, décliné dans les projets de service de chaque territoire. Toujours dans un souci d’accompagner au mieux les enfants et de soutenir les femmes dans leur rôle de mère, j’imagine des créations de postes d’éducatrices de jeunes enfants sur les différents territoires de l’Amicale du Nid !

 

Marina : J’espère que les réflexions autour du soutien à la parentalité et surtout de la place des enfants à l’Amicale du Nid vont s’inscrire dans la durée. Mieux former les professionnel·les et mieux comprendre les besoins spécifiques des familles accompagnées sont des axes centraux sur lesquels il faut continuer d’avancer. Car accompagner des femmes victimes de violences, c’est aussi souvent accompagner des mères ou futures mères et donc agir pour protéger les enfants et briser le cycle de la violence.