Trois questions à:Maitre Coupard, avocate au barreau de Montpellier et spécialisée dans le droit des étrangers

Après des études de droit clôturées par un stage au sein de la délégation française du HCR (haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), Maître Coupard a travaillé en tant qu’assistante juridique en charge des mineur.es isolé.es demandeurs.euses d’asile au sein de l’association France Terre d’Asile. A la suite de cette expérience en milieu associatif, elle a intégré la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) en tant que rapporteure, puis a présenté l’examen du barreau et exerce la profession d’avocat depuis janvier 2006.

 

Souhaitant poursuivre son travail auprès des populations étrangères, elle traite principalement des dossiers en lien avec le droit des étrangers.

 

Parallèlement à ses activités professionnelles, Maitre Coupard est membre du Syndicat des Avocats de France, où elle est investie auprès de la commission « droit des étrangers ».

 

Enfin, depuis plus de 10 ans, elle intervient en tant que formatrice, notamment auprès des travailleurs sociaux, sur les thématiques en lien avec le fait migratoire.

 

Face à certains dysfonctionnements des parcours de sortie de la prostitution (PSP), ce dispositif, essentiel pour les personnes ayant subi les violences liées à prostitution et souhaitant construire un nouveau projet de vie, s’en retrouve fragilisé.

 

1. Quels sont vos champs d’intervention : quels types d’affaires, quels accompagnements, quel public ?

 

J’interviens principalement dans les affaires liées aux droits au séjour de personnes étrangères victimes de traite des êtres humains et de prostitution. Ses dossiers se concentrent autour de deux situations :

  • Le refus de renouvellement d’un titre de séjour délivré après un dépôt de plainte ;
  • Le refus d’entrée ou de renouvellement dans le Parcours de Sortie de la Prostitution (PSP).

 

Ces femmes sont presque toutes étrangères, souvent originaires d’Afrique subsaharienne. Elles cumulent des vulnérabilités liées à l’exil, aux violences sexuelles et à l’exploitation prostitutionnelle.

 

Un exemple concret d’une situation :
Une femme dépose plainte contre son réseau et obtient un titre de séjour d’un an, renouvelable tant que la procédure judiciaire est en cours. Elle entame un parcours d’insertion : apprentissage du français, stages, CDD d’insertion. Mais si l’enquête est classée sans suite — faute de preuves suffisantes contre un réseau très organisé — le préfet considère que la protection n’est plus nécessaire. Le renouvellement est refusé, une OQTF prononcée, et la demande de PSP devient alors la seule voie de protection restante pour poursuivre le travail effectué jusque-là.

 

À noter : lorsque les exploiteurs sont condamnés, le titre de séjour peut être pérennisé et les victimes peuvent bénéficier d’une carte de résident de 10 ans. Le cas contraire, la victime entendue perd son droit au séjour sur ce motif.

 

2. Le PSP en 2024-2025 : quels enjeux et quelles difficultés d’accès aux droits ?

 

En théorie, le PSP est un dispositif adapté : il combine un statut administratif, un accompagnement social et des perspectives d’insertion. Dans la pratique, il est miné par plusieurs obstacles.

 

Des enquêtes difficiles et souvent classées sans suite

 

Les victimes disposent rarement d’éléments précis : parfois un prénom ou un numéro de téléphone. Les réseaux étant très organisés, les numéros changent et l’identification échoue. Le procureur prononce alors un classement sans suite. Or ce classement est considéré ar le préfet comme la fin de la procédure judiciaire, ce qui entraîne un refus de renouvellement du titre de séjour.

 

Une procédure opaque

 

Les décisions de refus sont peu motivées : « vous ne remplissez pas les critères », sans préciser lesquels. Même en cas d’avis favorable de la commission départementale, le préfet peut refuser, car l’avis n’est que consultatif. Ni les avis, ni les arguments du préfet ne sont communiqués.

  • Les personnes ne sont pas entendues par la commission : seule l’association qui les accompagne présente leur dossier.
  • Les refus sont parfois formulés de manière absurde, sans explications.
  • Les avocats et les personnes n’ont pas accès aux pièces du dossier, alors même que la loi sur l’accès aux documents administratifs devrait le permettre.

 

Une confusion politique

 

Depuis décembre 2023 et l’entrée en vigueur de la loi Immigration en janvier 2024, les refus se multiplient. Le traitement des demandes de PSP est de plus en plus confondu avec la lutte contre l’immigration irrégulière. Le profil de « la personne en situation irrégulière » l’emporte sur celui de « la victime ayant besoin de protection ».

 

Des conséquences humaines lourdes

 

Un refus de PSP entraîne la perte du droit au travail, la fin des démarches de formation ou de bénévolat, et surtout l’impossibilité d’accéder à certains hébergements spécialisés comme les CHRS, faute de cadre légal. L’Amicale du Nid peut continuer un suivi social, mais sans pouvoir proposer des solutions concrètes d’hébergement ou d’insertion.

Certaines femmes retombent dans la prostitution, pour se loger ou se nourrir. On leur demande de s’exposer face à leur réseau, et ensuite on leur dit que ce n’est pas suffisant. On substitue une violence à une autre.

 

À noter :

  • Le PSP peut être renouvelé 3 fois, dans la limite de 24 mois, mais cette durée s’avère parfois insuffisante.
  • En cas de refus, il est théoriquement possible de déposer une nouvelle demande. Mais en pratique, les commissions considèrent souvent que le dossier a déjà été tranché, et émettent un avis défavorable.
  • La distinction entre refus d’entrée et refus de renouvellement est importante. Sur un renouvellement, un recours d’urgence peut parfois être tenté : une consœur a ainsi obtenu gain de cause pour une femme dont le dont le renouvellement de PSP avait été refusé.

 

3. Quelles propositions pour une application pleine et entière de la loi ?

 

Pour que le PSP atteigne pleinement ses objectifs, plusieurs améliorations s’imposent :

  • Transparence :
    • Communication systématique des avis de la commission,
    • Motivation claire et détaillée des refus,
    • Accès garanti aux dossiers pour les personnes et leurs avocats.
  • Humanisation :
    • Audition directe des personnes par la commission,
    • Prise en compte du travail déjà engagé (français, stages, contrats d’insertion, bénévolat).
  • Respect de l’esprit du PSP :
    • Ne pas exiger que les personnes aient déjà quitté la prostitution pour entrer dans le parcours,
    • Cesser d’assimiler le PSP à un outil de contrôle migratoire.
  • Amélioration juridictionnelle :
    • Réduire les délais devant les tribunaux administratifs (des recours déposés en 2023 n’étaient toujours pas audiencés en septembre 2025),
    • Harmoniser les jurisprudences, trop variables d’un tribunal à l’autre.

 

Une question de droits fondamentaux

 

Au final, le constat est sévère : la loi prévoit bien la protection des personnes victimes de prostitution et de traite, mais son application est aujourd’hui détournée. Les victimes sont replacées dans une grande précarité, parfois dans la prostitution qu’elles tentaient de quitter.

 

La loi est limpide. Toute personne victime de prostitution, de proxénétisme ou de traite doit pouvoir accéder à ce parcours. La vraie question est : veut-on vraiment protéger ces femmes, ou continue-t-on à ne voir en elles que des étrangères en situation irrégulière ?