Lettre au Premier ministre : pour une application complète de la loi du 13 avril 2016

Paris, le 8 mars 2019

 

Monsieur le Premier Ministre,

 

La loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées vient d’être confortée par la décision du Conseil Constitutionnel de ne pas donner suite à une QPC contre la pénalisation des « acheteurs de services sexuels » et nous nous en réjouissons. Car nous voyons les effets positifs de la loi, là où elle est appliquée, sur les personnes accompagnées souhaitant sortir de la prostitution.

 

Il est temps d’engager son application avec plus de vigueur et plus complétement dans tous ses aspects et sur l’ensemble du territoire.

 

  • En ce qui concerne la déclinaison de la lutte contre le système prostitutionnel dans tous les départements.

 

Les commissions départementales ont fait la preuve de leur pertinence pour adapter la lutte contre le système prostitutionnel aux conditions locales : création d’une culture commune, réalisation de diagnostics, plans de lutte contre la prostitution des mineur.es, etc.

 

Des commissions départementales devraient voir le jour dans tous les départements.

 

  • En ce qui concerne la sortie de la prostitution

 

Il serait souhaitable que des directives claires soient données aux préfectures afin que les situations des personnes victimes soient traitées selon la loi du 13 avril 2016 quand elles sont étrangères, et que les critères d’accès au parcours de sortie de la prostitution (PSP) soient harmonisés dans tous les départements.

 

Les associations agréées pour accompagner les personnes en situation de prostitution devraient être financées à hauteur des besoins.

 

  • En ce qui concerne la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle 

 

Le Groupe d’Experts sur la traite des êtres humains du Conseil de l’Europe (GRETA) a fait savoir dans un communiqué de presse[1] que les recommandations faites dans son second rapport sur la France adopté en mars 2017 « n’avaient pas pour l’heure été mises en œuvre », notamment « la mise en place d’un mécanisme national de référence pour l’identification et l’accompagnement des victimes de traite… en impliquant les organisations de la société civile pertinentes, et en y allouant les ressources adéquates » et « le renforcement de la prévention de la traite des enfants, ainsi que l’identification et la protection des enfants victimes de la traite, y compris parmi les enfants non accompagnés ou séparés. »

 

  • En ce qui concerne la formation des professionnel.le.s sociaux.les

 

La formation doit leur faire comprendre le système prostitutionnel et ses effets dévastateurs sur la santé des personnes victimes. Elle doit leur faire connaitre la loi : il n’est pas admissible que des Instituts Régionaux de Travailleurs.euses Sociaux.ales (IRTS) ou d’autres structures prétendument formatrices permettent à des organismes d’intervenir en valorisant ce qu’ils nomment le « Travail du Sexe » ou souhaitant que l’on appelle « Accompagnement Sexuel ou Assistance Sexuelle » l’achat d’actes sexuels pour des personnes en situation de handicap. Il s’agit bien, sous ce déguisement sémantique, de prostitution et de promotion de services en opposition avec la loi. Ces actes de formation devraient être déclarés définitivement illégaux au regard de la loi et de la décision du Conseil Constitutionnel et soumis à poursuite pénale.

 

Les mots de la loi ont été murement pesés ; aujourd’hui, ils ont pour eux la force du droit, et ce sont eux qui doivent être employés en tout lieu.

 

  • En ce qui concerne l’éducation des enfants et la lutte contre la banalisation de la prostitution

 

Il est nécessaire d’organiser dans les établissements scolaires, afin que tous les enfants en bénéficient, les séances, prévues par la loi, d’information sur l’égalité des femmes et des hommes, d’éducation à la vie sexuelle et affective respectueuse de l’autre. Ces séances doivent intégrer les réalités de la prostitution, les dangers de la marchandisation du corps, et alerter sur la prostitution des mineur.es.

 

Il est urgent d’engager une politique volontariste de lutte contre la prostitution des enfants : formation des professionnel.les, renforcement de la prévention, accompagnement spécialisé des jeunes victimes de prostitution.

 

  • En ce qui concerne la pénalisation des clients

 

Les articles de la loi concernant la responsabilisation des clients ont été considérés parfaitement constitutionnels et leur mise en application doit être effective dans tout le territoire national. Ce volet de la loi est indispensable à la cohérence des actions déclinées.

 

Une campagne de sensibilisation du grand public devrait être conduite par le gouvernement pour rappeler les changements majeurs opérés par la loi : les personnes prostituées sont victimes de violences. En achetant un acte sexuel, les « clients » entretiennent leur exploitation et se rendent coupables d’une infraction.

 

  • Un suivi de la mise en œuvre de la loi est indispensable

 

La coordination des administrations, le suivi et l’harmonisation de la mise en œuvre de la loi du 13 avril 2016 sur l’ensemble du territoire sont indispensables à la réussite de la politique publique française de lutte contre le système prostitutionnel. Le comité de suivi de la loi s’est réuni une fois en juin 2017. Nous souhaitons sa tenue au moins trimestrielle.

 

Nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre très haute considération.

 

 

Pour le collectif ABOLITION

Marie-Hélène FRANJOU

Présidente de l’Amicale du Nid

 

 

Amicale du Nid, Mouvement du Nid, Fondation Scelles, Elues contre les violences faites aux femmes, Regards de femmes, la CLEF, Osez le féminisme, FDFA (femmes pour le dire, femmes pour agir), CNFF, Choisir la cause des femmes, L’égalité c’est pas sorcier, Femmes solidaires, Clara Magazine, Coalition against Trafficking in Women, Réseau féministe Ruptures, Mémoire traumatique et victimologie, Résistances de femmes, Fédération nationale solidarité femmes,  Le monde à travers un regard, CRIFIP, AFCJ, EACP, Collectif féministe contre le viol, L’escale, MJF, ACPE, CNDF, Cadac, SOS les mamans, CNIDFF, Le CRI, Zonta club de France, Fit une femme un toit, Chiennes de garde, CPL, Zeromacho, Marche Mondiale des femmes, CLF, SOS sexisme, Encore féministes, les moutons noirs,   Rajfire, Fédération nationale GAMS, Maison des femmes de Paris, Planning familial 75, Zero impunity, l’Assemblée de Femmes, La ligue du droit international des femmes, Réussir l’égalité femmes hommes, Libres MarianneS, Femmes migrantes debout, Efi-Ife, Collectif lesbiennes féministes Bagdam, collectif fièr·e·s et révolutionnaires du PCF, Les trois quarts du monde, Lobby européen des femmes, Espace Simone de Beauvoir, Collectif alouette, Mue.

 

Copie à :

 

  • Madame Nicole BELLOUBET – Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
  • Monsieur Jean-Michel BLANQUER – Ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse
  • Madame Agnès BUZYN– Ministre des Solidarités et de la Santé
  • Monsieur Christophe CASTANER – Ministre de l’Intérieur
  • Madame Sophie CLUZEL– Secrétaire d’Etat auprès du Premier Ministre, chargée des Personnes handicapées
  • Madame Marlène SCHIAPPA – Secrétaire d’Etat auprès du Premier Ministre, chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations
  • Monsieur Adrien TAQUET – Secrétaire d’Etat auprès de la Ministre des Solidarités et de la Santé, chargé de la mise en place de la stratégie pour la protection de l’enfance

 

 


[1] Communiqué de presse du 13 février 2019 accessible sur le site du GRETA.