Délibéré rendu dans une affaire de TEHES nigériane par la Cour d’appel de Lyon

Le 22 octobre 2020 la Xe chambre de la Cour d’appel de Lyon a prononcé son délibéré dans une affaire de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle : quasi identique pour toutes les parties civiles, et les prévenu·es voient quasiment toutes et tous leurs peines aggravées d’un an.

 

Il s’agissait d’un gros réseau de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et de proxénétisme nigérian, dont 24 personnes avaient été jugées en première instance, avec en bonne place un Pasteur.

L’Amicale du Nid avait rencontré alors plus de 20 victimes dans le cadre du démantèlement de ce réseau pour faire de l’information, mais un grand nombre d’entre elles avaient disparu, vraisemblablement « recaptées » rapidement par les exploiteurs. Finalement 18 parties civiles s’étaient constituées dont, parmi elles, 10 victimes directes accompagnées par les établissements de l’association à Lyon et Grenoble.

 

Suite aux appels de certain·es condamné·es et du Parquet, l’audience en appel s’est déroulée du 8 au 12 septembre, en présence de 10 prévenu·es et de 14 parties civiles, les victimes étant toutes physiquement absentes et représentées par leurs avocates.

 

Depuis trois ans, l’Amicale du Nid se constitue partie civile dans certaines procédures, quand elle accompagne effectivement les victimes. La raison d’être de ces constitutions est d’accompagner et soutenir les victimes dans l’épreuve qu’est pour elles la procédure pénale.

 

Cette procédure posait très nettement trois enjeux principaux :

  • La (non) prise en compte des droits et craintes des victimes, notamment sur la question des aménagements d’audience qui auraient dû être proposés ou à tout le moins rendus possibles pour protéger les victimes, notamment compte tenu de l’envergure du dossier et de sa relative médiatisation en première instance.
    La participation par visio conférence a semblé impossible dans ce contexte, alors qu’elle est largement pratiquée dans le cadre judiciaire (droit des étrangers, droit d’asile, ou pour éviter d’extraire des prévenu·es de prison) et qu’elle est envisagée par certains textes du Conseil de l’Europe ou des circulaires de la justice.
    Les victimes ont pris des risques considérables en participant à une procédure de cette envergure alors que leurs droits (séjour, hébergement, protection, allocation de demandeur d’asile) ne sont souvent pas effectifs dans le même temps, malgré la mobilisation de l’association à leurs côtés.
  • Cette procédure posait très nettement la question de la gravité du « proxénétisme d’appui », celui qui gère l’organisation matérielle de la prostitution (hébergement ou location de camions et de chauffeurs pour la prostitution à des coûts exorbitants, entretien et réparation des camions, collecte et transferts de fonds via des systèmes occultes vers le Nigéria…), et in fine, qui rend possible le transfert dans des conditions dramatiques puis l’exploitation sexuelle sordide de 54 jeunes femmes, dont 7 mineures, la plupart non identifiées, et l’enrichissement personnel de nombreux protagonistes.
  • Cette affaire a posé à nouveau l’épineuse question des victimes auteures, et de leur prise en compte par la justice. En effet, dans ces réseaux est organisé le changement de statut des victimes qui ont fini ou presque de payer leur dette de servitude : elles sont incitées, poussées, forcées parfois à rendre des services, surveiller d’autres victimes, puis prendre une part de plus en plus active dans les réseaux.
    Toutes les femmes prévenues devant la Cour d’appel sans exception étaient d’anciennes victimes de traite des êtres humains, dont certaines avaient été accompagnées par l’Amicale du Nid.

 

Si cela ne doit pas occulter la part de choix individuel dans ce changement de statut, toutes les victimes ne devenant heureusement pas proxénètes, la société française et les structures qui accompagnent les victimes du système prostitutionnel ont à penser et structurer une prévention de ce « devenir proxénète », entendu comme conséquence potentielle de la prostitution et de l’emprise du milieu prostitutionnel.

 

La société française et la justice doivent agir pour remédier à cet état de fait, notamment en mettant un terme à la manne d’argent considérable issue de la prostitution et en offrant des vraies solutions aux victimes.

Les sommes colossales de la prostitution sont apportées par les acheteurs / prostitueurs ; ces derniers sont l’assise et la raison d’être de ces réseaux et ils nourrissent une traite internationale de personnes qui génère d’innombrables souffrances humaines dans le monde entier.

 

Aujourd’hui la lutte contre la traite à des fins d’exploitation sexuelle, via son volet répressif, ressemble bien souvent au tonneau des Danaïdes : dès qu’une personne est arrêtée, son conjoint ou une amie la remplace, dès qu’un réseau est démantelé, un autre s’installe. Sans application volontariste de l’ensemble de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées le système continuera d’alimenter sans fin la venue de nouvelles victimes sur le sol français et la transformation de victimes en proxénètes.

 

Cette affaire de plus souligne l’importance de ce que souhaite l’Amicale du Nid :

  • Des campagnes d’information massives destinées à l’ensemble de la population sont nécessaires pour faire savoir ce qu’est réellement la prostitution, le système prostitutionnel et ce qui en résulte.
  • L’éducation à la vie sexuelle et affective prévue de longue date auprès des jeunes et toujours pas réalisée de façon satisfaisante doit enfin être intégrée dans la réalité de l’Education nationale.
  • Les trafiquants doivent être davantage poursuivis et les acheteurs, à l’origine de la prostitution et des trafics, doivent être pénalisés sur tout le territoire français et comprendre, au travers des stages prévus par la loi, la gravité de leurs actes.
  • Enfin, protection et alternatives doivent pouvoir être offertes aux victimes, notamment à travers les parcours de sortie de prostitution dont la mise en œuvre doit être pleinement assurée sur tout le territoire.

 

La loi, dans ces différentes dispositions, protectrices et émancipatrices des victimes et sanctionnant l’ensemble des responsables de la prostitution, doit être appliquée.

 


Photo : Progrès/Stéphane GUIOCHON