[Tribune] Lorsque la loi de 2016 sur la prostitution est appliquée, elle est efficace

Tribune parue dans Le Monde, 7 octobre 2020

 

En juin était publié le rapport d’évaluation inter inspections portant sur la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

 

Environ 40 000 personnes seraient en situation de prostitution aujourd’hui en France, majoritairement d’origine étrangère et de sexe féminin (85 % de femmes, 10 % d’hommes, 5 % de personnes transgenres), victimes de traite ou sous l’emprise de réseaux et sans titre de séjour.

 

La conclusion des inspections (inspection générale des affaires sociales, inspection générale de la justice, inspection générale de l’administration) est sans détour : cette loi est protectrice mais insuffisamment appliquée. Là où, avec volonté et moyens les dispositifs sont mis en œuvre, cette loi sauve des vies.

 

Violences sexuelles permanentes, stress post-traumatique, addictions pour tenir l’intenable, coups, vols et jusqu’au meurtre… On estime que le taux de suicide des personnes prostituées est douze fois plus élevé qu’en population générale (étude Prostcost, 2015). Les immenses profits pour les uns – proxénètes, réseaux et clients – vont de pair avec des coûts humains inacceptables. La violence est inhérente à la prostitution. Les survivantes de la prostitution en témoignent. Et ce constat était au cœur de la résolution de l’Assemblée nationale, adoptée à l’unanimité en 2011, pour réaffirmer l’horizon abolitionniste de la France.

 

Résultats significatifs

La crise du Covid-19 a de nouveau levé le voile sur cette précarité extrême. Le moment est critique et des personnes se saisissent courageusement de cette crise pour envisager leur futur en dehors de la prostitution. Les demandes d’accompagnement pour en sortir augmentent. Dans le même temps, tous les clignotants sont au rouge quant à la précarité des jeunes et à la banalisation de la prostitution.

 

Les actions accomplies, ou non, aujourd’hui pour prévenir l’entrée en prostitution détermineront donc si nous avons sacrifié une génération de filles et de garçons, condamnée à l’exploitation sexuelle. Le secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, parlait en 2019 de « 10 000 enfants victimes de prostitution infantile ». Perdre des mois, c’est accepter de voir ce nombre croître. Nous refusons cette fatalité.

 

Le récent rapport d’évaluation est le fruit d’un long et méthodique travail : de nombreuses visites de terrain, près de trois cents entretiens avec toutes les parties prenantes, et les retours de questionnaires adressés aux préfets, aux parquets et aux agences régionales de santé. Le défaut ou l’hétérogénéité de l’application de la loi sont mis en cause, pas la loi en elle-même. Lorsque la loi de 2016 est appliquée, elle est efficace.

 

Des résultats déjà significatifs sont enregistrés : trois cent quatre-vingt-quinze personnes bénéficiaires d’un parcours de sortie de la prostitution (chiffre de juin 2020), ouvrant le droit à un titre de séjour, un accès prioritaire au logement et à une aide financière ; hausse de 54 % des procédures pour proxénétisme et lutte contre la traite des êtres humains ; multiplication par sept des indemnisations des victimes ; près de cinq mille clients interpellés, et ce afin de tarir la demande sans laquelle l’exploitation ne serait pas possible.

 

Soutien des Français

N’attendons plus pour amplifier ces résultats, partout dans l’Hexagone et outre-mer. Nous pouvons décider des moyens de cette ambition, en particulier en mobilisant pleinement les avoirs saisis et confisqués en matière de traite des êtres humains et de proxénétisme – 16 millions d’euros rien qu’en 2017 et 2018. L’heure est à l’action, plus au énième débat ou rapport. Les inspections formulent vingt-huit recommandations précises pour renforcer le pilotage et la mise en œuvre de cette politique publique.

 

Parlementaires en exercice ou ex-parlementaires ayant été à l’initiative de cette loi, de diverses sensibilités politiques, nous appelons le gouvernement à réunir urgemment le comité de suivi interministériel, conformément à la première recommandation du rapport d’évaluation. Cette instance ne s’est plus réunie depuis juin 2017. Quant au Parlement, nous souhaitons qu’il puisse, en responsabilité, jouer tout son rôle dans le contrôle, en particulier budgétaire, de la mise en œuvre des recommandations des inspections.

 

En pleine cohérence avec l’actuel combat des femmes contre les violences et pour l’égalité, cette loi honore notre pays. D’ailleurs, 78 % des Françaises et des Français la soutiennent (Ipsos, 20 janvier 2019). Ne soyons pas dupes, l’immobilisme fait le jeu des plus forts au détriment, dans l’immense majorité des cas, de jeunes femmes vulnérables, françaises, étrangères, et souvent mineures.

 

Gagnons la course contre la montre qui nous oppose aux réseaux mafieux, des plus organisés aux plus artisanaux. Ils prospèrent là où la société échoue. N’ayons pas la main qui tremble face aux graves violations des droits humains en jeu, au premier rang desquels l’égalité des femmes et des hommes et le droit à une vie libre de violences.

 

Les signataires :

Danielle Bousquet, ancienne députée PS (1997-2012), ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (2013-2019) ; Laurence Cohen, sénatrice PCF ; Charles de Courson, député Les Centristes ; Catherine Coutelle, ancienne députée PS (2007-2012) ; Stella Dupont, députée LRM ; Albane Gaillot, députée Ecologie démocratie solidarité ; Guy Geoffroy, ancien député UMP puis LR (2002-2017) ; Guillaume Gouffier-Cha, député LRM ; Sacha Houlié, député LRM ; Maud Olivier, ancienne députée PS (2012-2017) ; Laurence Rossignol, sénatrice PS, ancienne secrétaire d’Etat chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie (2014-2016), ancienne ministre de la famille, de l’enfance et des droits des femmes (2016-2017).