Les premières interventions dans les squats ont été initiées lors de l’évacuation du Petit Séminaire le 29 décembre 2021. La médiatrice santé avait repéré des femmes nigérianes concernées par l’exploitation sexuelle, identifiées comme victimes d’un réseau de prostitution, et prises en charge par les services de l’Amicale du Nid.
Pour aborder la mission relative aux squats, il a été essentiel d’évoquer la traite des êtres humains d’origine nigériane et son évolution à Marseille.
Ainsi, le public ciblé par nos interventions de proximité est en situation d’exploitation sexuelle et/ou victime de violences sexuelles. Le système de prostitution/hébergement pousse les victimes à croire que le squat est un refuge. Le squat a une réalité plus complexe, il peut prendre plusieurs formes, parfois sous couvert d’un dit-propriétaire, marchand de sommeil.
La question de la prostitution et des violences sexuelles a pu être discutée, mais elle reste difficile à aborder sans un espace neutre et confidentiel. Notre intervention nécessite de prendre en considération la dynamique territoriale de chaque quartier et la présence des autres habitants. Il est nécessaire d’intégrer une réelle approche de gestion des squats car intervenir dans ces lieux, c’est prendre en compte les multiples mouvements : la présence des réseaux de stupéfiants, les évacuations individuelles et collectives – un effet pendulaire d’évacuation de squats. Il existe des interactions entre les squats évacués et ceux encore occupés.
Nous différencions les maraudes des tournées de rue en squat.
Contrairement aux maraudes, l’aller-vers que représente les tournées de rue n’est pas réalisé auprès d’un public en situation de prostitution mais auprès de femmes, d’hommes et de personnes transgenres qui occupent et vivent un immeuble où certains appartements sont considérés comme squats. La situation prostitutionnelle est donc de prime abord inconnue comme le statut occupationnel du « locataire ».
En réalisant du porte-à-porte, l’objet des tournées de rue est au travers d’une visée préventive, d’aborder et de questionner les droits de santé des personnes, si ceux-ci sont connus et ouverts afin, in fine, d’ouvrir l’échange sur les violences conjugales et/ou sexuelles. La difficulté étant alors de penser et d’articuler notre présence sociale entre, l’espace privé qui est le lieu d’habitation des personnes, qui se trouve réellement dans l’appartement et l’espace public que sont les paliers, les parties communes des immeubles.
L’objectif d’une tournée de rue est de repérer les besoins des personnes rencontrées, d’identifier les problèmes afin de les orienter vers les différents partenaires du territoire si nécessaire, ou d’entamer un accompagnement social global au sein de notre association lorsqu’une fragilité, un isolement, un risque ou des signes de violence et de prostitution sont identifiés par l’équipe de professionnel.les.
Pour renforcer nos interventions, notamment en matière de violences sexuelles et de prostitution, l’équipe mobile a récemment commencé à opérer dans ces quartiers en réalisant des TROD à bord d’un camion assurant une confidentialité accrue. Grâce à cette nouvelle approche, nous sommes en mesure de rencontrer les femmes en toute discrétion et d’aborder ouvertement des questions liées à la sexualité. En adoptant une approche de réduction des risques, nous cherchons à identifier les difficultés spécifiques en matière de santé sexuelle et de pratiques prostitutionnelles. Nous avons réalisé des tournées en binôme avec des partenaires du champ médical, sage-femme, médecin, afin de faciliter la promotion de la santé et l’orientation.
L’équipe mobile nous livre son récit d’une journée « type » :
Jeudi 9 janvier, notre équipe part en tournée aux Rosiers, cité investie bientôt deux ans par les 5 travailleurs sociaux que nous sommes. Nous intervenons à pied, équipés de nos gilets floqués équipe mobile ORION. C’est notre nom local, celui de l’antenne AdN marseillaise, c’est plus neutre pour cette mission. Nous alternons entre présence sociale dans l’espace publique et porte-à-porte. Le bâti est un grand complexe labyrinthique. Nous reprenons le cahier de liaison pour garantir la continuité de la tournée précédente. Nous avons le coup de main pour toquer. Reste à nous présenter : « Avez-vous l’AME ? Vous êtes locataire ? Comment ça va pour vous la santé ? »
Pourquoi toutes ces questions ? Pour identifier les critères de vulnérabilités. Pour accrocher une demande d’aide santé. Si parfois nous restons sur le palier, nous sommes aussi invités à entrer et poursuivons la conversation avec plus de confidentialité. Dès lors, l’équipe s’autorise à verbaliser l’enjeu de prévention de la violence.
L’évaluation d’une situation nécessite souvent plusieurs tournées. Nous pouvons poursuivre en entretien individuel dans les bureaux du centre social d’à-côté, au centre de santé départemental ou directement à notre ADJ. Une tournée, c’est la tentative de rendre visible la situation d’une femme migrante éloignée des espaces d’écoute.
La mission habitat indigne/squats est souvent discutée pour mesurer son efficience, parfois remise en question de par son environnement souvent insécurisant. Pourtant, aujourd’hui, peu d’équipe en travail social se rendent dans ces zones de non-droit. Il nous semble parfois que nous sommes comme toutes ces femmes, à la marge, en dehors d’une autre réalité, s’interrogeant sur la pertinence d’y aller ou pas. Et pourtant, l’évidence est sous nos yeux.
Cette mission nous semble essentielle dans une lutte contre le non-recours au droit commun. Elle permet de remettre de l’humanité dans des endroits sordides auprès de ces femmes isolées et qui poursuivent leur parcours de vie, dans un continuum de violences.