Trois questions à Maud Olivier sur la loi du 13 avril 2016 renforçant la lutte contre le système prostitutionnel:contexte, contenu et application

Maud OLIVIER, militante politique, membre du parti socialiste, conseillère générale de l’Essonne (2002-2015), maire des Ulis (2008-2012), députée de la 5e circonscription de l’Essonne (2012-2017), co-autrice en concertation avec le gouvernement de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, déposée au bureau de l’Assemblée nationale en octobre 2013, rapporteure de cette proposition de loi, loi votée le 13 avril 2016.

 

 

 

Quel était le contexte de l’élaboration de la loi du 13 avril 2016 ?

 

En ratifiant en 1960 la Convention des Nations Unies de 1949, la France s’était déclarée clairement abolitionniste contrairement à d’autres pays qui ont choisi soit le prohibitionnisme interdisant complètement la prostitution soit le réglementarisme professionnalisant la prostitution.

 

Nos lois contre le proxénétisme étaient déjà les plus sévères d’’Europe. Aucune maison close n’est autorisée depuis 1946 et les lois contre le proxénétisme interdisent de tirer profit de la prostitution d’une personne ou de l’inciter à se prostituer.

 

Ces lois ont permis de limiter le nombre de personnes prostituées par les réseaux sur notre territoire. Nous l’estimons à 40 000 alors qu’en Allemagne où le proxénétisme n’est pas interdit, elles seraient environ 400 000.

Le chiffre d’affaires des entrepreneurs du sexe y est d’ailleurs estimé à plus de 14Md€.

 

Une mission d’information sur l’état de la prostitution en France par deux députés avait abouti au dépôt d’une résolution votée en décembre 2011 à l’Assemblée nationale. Et lors du changement de gouvernement en 2012, la Délégation Droits des Femmes de l’AN, a proposé une loi pour que la France réaffirme sa position abolitionniste.

 

Depuis longtemps les féministes et les associations qui accompagnaient les personnes prostituées demandaient que soit mis fin au système prostitutionnel, dans le respect des accords internationaux qui dénoncent la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle.

 

Le constat était que la prostitution est une violence, qu’elle porte une atteinte fondamentale au principe d’égalité entre les sexes car si 85 % des 20 000 à 40 000 personnes en situation de prostitution en France sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes. La prostitution est un obstacle au principe de non patrimonialité du corps humain, principe qui s’oppose à ce que celui‑ci soit considéré comme une marchandise, source de profit.

 

Beaucoup de personnes prostituées sont victimes de réseaux et de violences particulièrement graves qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique. Mettre la prostitution à l’agenda politique était indispensable pour mobiliser nos gouvernements, nos partis politiques et la population pour leur faire prendre conscience que la lutte contre les violences, et en particulier celles subies par les femmes, est le passage obligé pour vivre dans une société où les droits de tous et toutes sont respectés.

 

Et un principe politique impose un cadre juridique normatif et une législation.

 

Commencé en 2011, environ 5 ans de travail parlementaire ont été nécessaires pour que la loi soit promulguée. C’est en décembre 2013 qu’ont débuté les vraies batailles, en interne des assemblées Sénat et Assemblée nationale, et en externe avec une presse et des lobbies proxénètes vent debout sur un aspect particulier du texte, la responsabilisation des clients.

 

Il a fallu un changement complet d’appréhension du sujet qui a pris du temps. Expliquer que défendre la liberté sexuelle c’est affirmer qu’elle doit s’exercer dans un désir partagé, en dehors des contraintes, morales, psychologiques ou financières.

 

Il faut préciser que c’est un combat trans partisan, il a été mené par des élu.es de différents bords politiques, même si ce sont les plus progressistes qui ont mené toute la bataille, en prenant le temps d’expliquer les enjeux aux parlementaires, avec des exemples, les laisser imaginer leur fille, leur femme, leur sœur obligée d’être un jour dans une telle situation de détresse ou, sur un plan plus général, leur rappeler notre devise des droits humains fondamentaux devant bénéficier d’une protection universelle.

 

Depuis 2002, le recours à la prostitution de mineur ou de personne vulnérable était déjà un délit (Depuis la loi du 21 avril 2021, un crime).

 

Le viol est devenu un crime, comme le viol conjugal, le harcèlement sexuel, un délit. Sanctionner l’acte de recours à la prostitution, c’est se placer dans la continuité de ces législations. C’est chose faite avec la loi du 13 avril 2016, une loi cohérente avec l’objectif de soustraire dans le droit, la sexualité à la violence et à la domination masculine.

 

Les parlementaires ont modifié 9 codes de notre législation, les codes de l’action sociale, comme le code pénal ou le code de l’éducation. Ils ont ainsi inversé la charge pénale, reconnaissant les personnes prostituées comme victimes et les clients comme acteurs de cette violence prostitutionnelle, aggravé les peines en cas de violence envers les personnes en situation de prostitution, renforcé leur sécurité et l’accompagnement dont elles peuvent bénéficier,

 

Quel est le contenu de cette loi ?

 

  • Dépénalisation des personnes en situation de prostitution(abrogation du délit de racolage « passif »), puisque victimes des violences du système prostitutionnel.
  • Accompagnement de celles et ceux qui souhaitent s’émanciper de la prostitution par un parcours de sortie (parcours de sortie de la prostitution sur décision préfectorale après avis d’une commission départementale), avec, s’il y a lieu, une autorisation provisoire de séjour (APS) et une allocation financière à l’insertion sociale et professionnelle (AFIS), renouvelable tous les 6 mois jusqu’à 2 ans.
  • Prévention de la prostitution et du recours à la prostitution.
  • Renforcement de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle(TEHES).
  • Pénalisation de l’achat d’actes sexuels et la responsabilisation des « clients ». Création des stages de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.

 

Que pensez-vous de sa mise en œuvre aujourd’hui ?

 

Une opposition venue du lobby des règlementaristes veut dépolitiser le débat et renvoyer la prostitution à la sphère privée et à une prétendue liberté individuelle, quand, en fait, cette liberté individuelle se résume à la liberté du plus fort. Parce que dans ce rapport inégalitaire c’est celui qui paie qui a le pouvoir.

 

Ces mêmes règlementaristes ont attaqué la loi auprès du Conseil constitutionnel français. Celui-ci dans sa grande sagesse, a affirmé le bienfondé de la loi en rappelant que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle.

 

En juillet dernier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, elle aussi saisie par ces mêmes règlementaristes, a conforté à l’unanimité la loi française de 2016.

 

Publié en mai 2024, le rapport de Reem Alsalem, rapporteure spéciale des Nations Unies sur la violence contre les femmes et les filles, analyse clairement la prostitution comme un système de violence masculine qui réduit les femmes et les filles à l’état de marchandises.

 

La loi de 2016 a permis de révéler davantage la prostitution des mineur.es.

 

Aujourd’hui, on annonce le chiffre de 15.000 mineur.es en situation de prostitution.

 

Les mineur.es représentent 91 % des victimes du recours à la prostitution hors du cadre intrafamilial. Parmi elles, 27 % ont moins de 15 ans et 64 % ont entre 15 et 17 ans.

 

La mise en place des commissions départementales a permis aux services d’Aides Sociales à l’Enfance d’identifier ces pratiques prostitutionnelles et ce sont les associations agréées qui ont pu montrer comment y répondre : il n’y a pas de différentes manières d’aborder la question de la prostitution, que celle-ci concerne des mineur.es ou des majeur.es.

 

Aujourd’hui, Il est donc plus que jamais nécessaire d’inscrire la lutte contre le système prostitutionnel comme une priorité du gouvernement, appliquer et consolider les lois quand elles existent de façon plus homogène sur le territoire et,

  • Prévoir des financements pérennes à hauteur des enjeux pour les associations en charge des Parcours de Sortie de Prostitution, et pour l’aide financière à apporter aux victimes ;
  • Augmenter les moyens des associations et des services de l’État, pour assurer la protection des victimes, les soins, leur hébergement, leur formation
  • Appliquer les textes de loi du code de l’éducation qui prévoient la prévention et l’éducation des jeunes,
  • Mobiliser les Commissions départementales pour l’étude des dossiers de Parcours de Sortie de Prostitution
  • Accorder les autorisations de séjour nécessaires pour les personnes étrangères souhaitant bénéficier d’un Parcours de Sortie de Prostitution.
  • Renforcer la politique pénale et augmenter les moyens humains et techniques des enquêteurs en matière de lutte contre le cyberproxénétisme et l’achat d’actes sexuels ;
  • Mener des campagnes d’information pour rappeler l’interdiction d’achat d’actes sexuels quel que soit l’âge de la personne en situation de prostitution, et de prévention auprès des jeunes pour les alerter sur la violence du système prostitutionnel.
  • Communiquer plus largement pour sensibiliser l’opinion publique à la lutte contre cette violence.