Portrait de professionnelle:Maurianne, coordinatrice nationale des missions mineur.es de l’amicale du nid

Quel est votre parcours professionnel ?

 

Mon engagement professionnel est ancré dans mon militantisme féministe. Il y a une petite dizaine d’année, j’ai été bénévole d’une association de prévention des violences sexistes et conjugales cela a profondément marqué le début de mon militantisme féministe et de mon parcours professionnel.

 

Après plusieurs expériences en protection de l’enfance, j’ai intégré une formation d’éducatrice spécialisée à Lyon. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de professionnaliser mon engagement en me consacrant à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

 

Mon premier stage à l’Amicale du Nid de Lyon a été un tournant décisif de ma vie professionnelle, mais aussi de ma construction en tant que femme et militante féministe abolitionniste. J’y ai découvert la réalité de l’exploitation sexuelle des femmes et des filles et des réseaux mondiaux qui l’alimentent. Cette prise de conscience, à la fois brutale et nécessaire, a été rendue possible par les rencontres avec les personnes accompagnées et le soutien de l’équipe de travailleurs et travailleuses sociales.

 

Face à l’ampleur de cette violence, j’ai été saisie par une véritable frénésie de compréhension. Il me fallait trouver des explications à cette violence systémique, normalisée et largement tolérée par la société. J’avais un besoin viscéral de comprendre. Comprendre pour accompagner avec justesse. Comprendre pour lutter efficacement contre un système oppressif à l’intersection du sexisme, du racisme et des inégalités économiques.

 

Ce stage, initialement prévu pour cinq mois, s’est finalement prolongé sur trois ans, au cours desquels j’ai réalisé toute ma formation en apprentissage au sein du CHRS. En 2020, j’ai également contribué à la création de la mission mineur.es de Lyon. Ces expériences ont été fondatrices pour moi, elles m’ont permis de lier plusieurs dimensions essentielles de mon parcours : un souhait initial de travailler dans la protection de l’enfance, un engagement féministe croissant et une réflexion politique autour des violences systémiques et particulièrement les violences sexuelles.

 

Mon cheminement s’inscrit également dans un contexte global de prise de conscience des violences sexuelles, amplifié par les différents mouvements #MeToo. Ces derniers ont donné une résonance mondiale à des récits jusque-là invisibilisés, en imposant la nécessité d’un engagement collectif pour dénoncer et combattre ces violences. Pourtant, j’ai constaté que la prostitution, en dépit de son inscription au cœur des violences systémiques faites aux femmes, demeurait largement en marge des prises de conscience. Ce silence n’est pas anodin : il reflète une tolérance sociale et politique qui banalise cette forme d’exploitation. La prostitution est souvent réduite à une question économique ou présentée comme un choix individuel, occultant ainsi sa réalité : une violence structurelle nourrie par le patriarcat, les inégalités de genre, le racisme et les injustices sociales.

 

Elle illustre de manière criante l’articulation entre les oppressions, où les corps des plus vulnérables — femmes, enfants, personnes LGBTQIA +, personnes racisées ou précarisées — deviennent des marchandises dans un système qui perpétue les dominations. Pourtant, la MIPROF estime qu’en France, le système prostitutionnel concerne entre 30 000 et 40 000 personnes. Ce chiffre est probablement sous-évalué en raison du manque de données sur la prostitution dite « logée » et la prostitution via les plateformes et les réseaux sociaux qui rend une partie des victimes invisibles. Parmi elles, on compterait entre 10 000 et 15 000 enfants. Les profils des victimes montrent que 85 à 94 % sont des femmes, 53 % sont de nationalité française, et parmi ces dernières, 60 % sont des enfants.

 

Ce traitement périphérique de la prostitution m’a profondément interpellée et renforcée dans ma volonté d’agir pour la visibilité de cette réalité, tout en luttant contre la complaisance envers ce phénomène. Cette conception  systémique a nourri un engagement qui dépasse  la lutte contre le système prostitutionnel pour inclure toutes les formes de violences sexuelles, et en particulier celles subies par les enfants.

 

Aujourd’hui, mon parcours est à la croisée de l’éducation spécialisée, d’un engagement militant féministe et pour le droit des enfants, et d’une réflexion politique sur les systèmes de domination. Cette articulation me permet de participer au combat pour la reconnaissance de toutes les formes de violences sexistes et sexuelles, en particulier la prostitution, et d’œuvrer à la transformation des structures qui les permettent et les perpétuent. C’est cette réflexion et cet engagement qui m’ont conduites à rejoindre l’équipe du siège de l’Amicale du Nid.

 

En quoi consiste vos missions à l’Amicale du Nid ?

 

En tant que coordinatrice nationale des missions mineur.es, mon rôle est de faire émerger, analyser et capitaliser les pratiques des équipes de terrain, afin de créer des outils d’accompagnement adaptés et de suivre l’évolution de l’activité pour mieux comprendre l’impact des actions mises en place et celle du phénomène.

 

Après 80 ans d’actions auprès des adultes, les missions mineur.es de l’Amicale du Nid sont nées de la nécessité d’adaptation de l’association au phénomène de l’exploitation sexuelle des mineur.es à des fins de prostitution, mais aussi de répondre à un secteur enfance souvent dépassé et en difficulté face à cette problématique. Cette réponse s’incarne par la création d’équipes dédiées à l’accompagnement des enfants, intervenant de manière globale et coordonnée sur plusieurs champs : aller vers, prévention, accompagnement, sensibilisation, formation des professionnel.les, étayage des pratiques professionnelles et soutien des proches. Ces équipes ont ainsi développé une approche et une expertise pointue permettant de répondre à la diversité des besoins des jeunes, tout en formant un réseau de protection et de soutien autour d’eux et d’elles.

 

Mon travail repose sur un dialogue continu avec les équipes de terrain, avec lesquelles nous élaborons, pensons et analysons leurs pratiques innovantes. Nous tirons des enseignements des actions menées afin de progresser collectivement dans l’accompagnement des enfants victimes et de mieux comprendre l’évolution des mécanismes de coercition utilisés par les clients et les proxénètes. Ce processus collaboratif nous permet de construire des outils adaptés, à la fois en réponse aux besoins spécifiques des mineur.es et à la réflexion sur les dynamiques sociales qui sous-tendent le phénomène. L’objectif est de partager et de bâtir une culture et une compréhension commune, d’élaborer des pratiques de protection solides et adaptées, tout en assurant une cohérence entre les réalités du terrain et les défis actuels. Enfin, je coordonne des projets d’envergure nationale, comme le programme « Je n’suis pas à vendre », dédié à la prévention des violences prostitutionnelles dans l’espace numérique auprès des jeunes.

 

À travers ces initiatives, je participe à la réflexion associative et soutien l’élargissement de notre champ d’action. Depuis 2016, ce sont 9 équipes et bientôt 10, près de 45 professionnel.les qui agissent quotidiennement, faisant de notre association un acteur majeur dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants à des fins de prostitution.

 

Comment faire le lien entre le « terrain » et le siège social ?

 

C’est une question que je me pose tous les jours ! En tant que coordinatrice nationale des missions mineur.es, je me trouve souvent à la croisée des chemins entre différents échelons de l’association : du conseil d’administration à la direction générale et le siège, en passant par les directions d’établissements, les chef.fes de services et les équipes de terrain. C’est un poste qui n’est pas toujours facile, mais qui est véritablement passionnant. Il me permet de comprendre les priorités de chacun.e, tout en étant attentive aux réalités spécifiques à chaque niveau. Ce dialogue constant est ce qui donne toute sa richesse à ma mission. Mon objectif ? Être un catalyseur, un relais pour faire circuler la connaissance et soutenir les échanges entre les réalités du terrain et les orientations de l’association.

 

Je travaille chaque jour à rendre visibles les défis rencontrés par les équipes. J’alimente la réflexion collective en apportant des éléments concrets : des retours d’expérience du terrain, des apports théoriques et scientifiques. Je fournis des informations et des réflexions qui permettent d’alimenter les décisions prises par l’encadrement et la gouvernance. Ceci pour que notre action soit toujours au service des besoins des jeunes et des réalités d’évolution du système pédo-prostitutionnel, tout en restant en phase avec l’actualité de l’association et du secteur.

 

Je crois que faire le lien entre le siège et le terrain, c’est aussi saisir pleinement le mouvement associatif, comprendre son histoire, ses valeurs et son évolution. L’Amicale du Nid est historiquement reconnue pour son engagement en faveur de l’égalité femme-homme, moins sur la protection de l’enfance. C’est dans ce cadre que la question de l’exploitation sexuelle des mineur.es vient désormais s’inscrire, en enrichissant notre action et en permettant à l’association densifier son expertise.

 

Je pense que mon rôle est précisément d’accompagner cette évolution en intégrant le vécu des enfants dans la réflexion associative. Il s’agit de clarifier ce qu’est la pédocriminalité, de comprendre et de montrer comment elle s’imbrique dans le système prostitutionnel avec cette spécificité glaçante : l’exploitation sexuelle d’enfants de plus en plus jeunes pour de l’argent. Les conséquences sur un corps en développement sont immenses, elles empêchent la construction de ces enfants, tant physiquement que psychiquement. Cette dynamique d’évolution repose sur un dialogue constant entre les pratiques de terrain et la réflexion, pour élaborer des réponses concrètes, adaptées et respectueuses des besoins de chaque enfant.

 

L’abolitionnisme est, en ce sens, bien plus qu’une position : c’est une grille de lecture essentielle pour comprendre la complexité de ces enjeux. Il permet d’appréhender les mécanismes de domination et d’exploitation, d’interroger les structures qui les créent et les perpétuent, et de porter une vision claire et ambitieuse de protection, de justice et d’émancipation pour chaque enfant. Et ça c’est exactement ce que l’Amicale du Nid sait faire !