Gisèle Pélicot, grâce à son refus du huis clos, grâce à son courage, a mis en lumière une violence masculine préméditée, organisée, transformant une femme en corps inerte pour la jouissance d’une centaine d’hommes. Elle a permis de montrer comment les violeurs refusent d’admettre leur responsabilité alors que leurs actes étaient filmés en détail, comment ils ne pensent les femmes qu’appropriées par les hommes : « c’était sa maison, sa chambre et sa femme » ! Comment un « bon père de famille » peut entretenir une haine profonde de sa femme et chercher à la détruire. Pendant trois mois il a été clair pour toutes et tous que l’intime est politique. Les réquisitions ont été lourdes, attendons les verdicts.
Dominique Pélicot a attiré des hommes de milieux divers en sédatant Gisèle et en l’offrant pas tout à fait gratuitement, contre sa présence et des prises d’images… mais sans argent. C’était donc bon à prendre mais finalement très cher payé aujourd’hui pour les agresseurs.
Dans l’ensemble « ces consommateurs » relativement modestes en termes de revenus, étaient en chasse sur un réseau social fait pour ce racolage. Les hommes plus aisés vont directement dans des clubs libertins plus huppés ou font affaire avec des proxénètes fournisseurs de « prostituées de luxe ». Ils n’ont pas besoin de cacher leur voiture et de se déshabiller dans une cuisine. Mais le prix en argent n’est pas le même… et la sanction elle, est pratiquement inexistante. Nous avons connu un cas célèbre.
Nous y sommes ! Le procès de Dominique Pélicot et de ses comparses, à mon sens, remet sur la table la question de la prostitution.
Alors que le procès de Mazan avait commencé, apparaissait en « fait divers » début octobre dans certains quotidiens, l’annonce d’un procès d’un ex-mari proxénète. Celui-ci est un homme de 57 ans arrêté et jugé par un tribunal correctionnel pour avoir contraint sa femme à la prostitution durant six ans. La victime, ex-épouse aujourd’hui, qui avait porté plainte, dit avoir eu jusqu’à 30 clients par soir. Le mari et leur fille étaient parfois caché·es derrière un rideau dans la caravane où avaient lieu les agissements des clients. La victime a contracté le VIH. L’ex-mari aurait retiré de la vente de l’usage du corps de sa femme 56 000 euros.
Le 24 octobre 2024, le tribunal est allé au-delà des réquisitions du parquet, soit deux ans de prison, et a condamné le mis en cause pour proxénétisme aggravé et corruption de mineure sur sa fille de 15 ans (il l’obligeait de plus à visionner des films porno) à trois ans de prison dont dix mois avec sursis probatoire, avec obligation de se soigner, interdiction d’entrer en contact avec les victimes etc. Sanction appropriée ou trop, beaucoup trop légère pour la destruction de deux vies de femme ? ça se discute mais en éclairant ce qu’est la prostitution…
Contre la prostitution nous avons, depuis 2016, une loi abolitionniste « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées », dite loi Olivier-Coutelle, une grande avancée mais qui reste au milieu du chemin.
Dans ce procès il n’a pas été question de rechercher les clients et de les condamner. Ils ont pourtant imposé des actes sexuels à une femme qui manifestement était sous emprise de son mari. N’y avait-il pas violence, contrainte et menace telles que prises en compte dans la définition pénale du viol ?
N’y avait-il pas lieu d’essayer d’appliquer la loi de 2016 plus complètement ? En effet entre autres mesures cette loi interdit l’achat d’actes sexuels. La sanction pour les « clients » est une amende de 1 500 euros maximum et de 3 750 euros en cas de récidive qui devient un délit, lorsque les victimes sont des adultes ; les sanctions sont beaucoup plus lourdes lorsque les victimes sont des mineur·es et la qualification de viol apparaît si le ou la mineur.e a moins de 15 ans.
L’achat d’acte sexuel est défini comme « le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage ». Aucune présence de menace ou violence, on reste dans l’idée d’un échange mais puisqu’il est interdit, c’est qu’il pose problème. En France, le principe de dignité interdit que la personne soit réduite et assignée, telle une machine à une fonction dans le seul intérêt d’autrui.
Au vu des souffrances créées par la prostitution, des dégâts sur la santé des victimes, des effets sur leurs enfants comme pour les violences conjugales, les sanctions encourues par les prostitueurs sont faibles beaucoup trop faibles en particulier pour les clients et au regard de sanctions encourues pour viol. Qu’est-ce qui fait que la prostitution n’est pas, en droit, considérée comme un « viol tarifé » et un « viol collectif » tel que le considèrent beaucoup d’abolitionnistes et des survivantes de la prostitution ?
Plusieurs facteurs à l’intérieur du système patriarcal et du système économique y concourent :
La marchandisation généralisée et l’argent qui est vu comme moyen pour des femmes vulnérabilisées, précaires, migrantes, de sortir de la pauvreté. Les proxénètes et trafiquants prostitueurs, eux, voient dans ce système l’opportunité de gains très importants et avec moins de risques que dans d’autres trafics.
Ils vont tout faire pour maintenir ce système juteux, infiltrer les « syndicats de travailleurs et travailleuses du sexe », tout faire pour développer comme en Allemagne un entrepreneuriat prostitutionnel, exploiter leur propre compagne ou enfin créer un contrat de travail pour la prostitution comme vient de le faire la Belgique.
Le consentement apparent des victimes de la prostitution est un autre voile qui cache ou estompe la réalité. D’une manière générale le viol est vu comme un forçage, une violence pure et directe. Il n’en est pas de même pour la prostitution. L’apparence c’est le racolage dans la rue ou par internet donc l’apparente volonté d’être là. Cette représentation est renforcée par les témoignages de quelques personnes prostituées qui affirment faire ce « travail » par choix.
Un groupe de survivantes écrit : « quand notre estime de soi a vraiment été fracassée au point qu’on ne s’accorde aucune valeur, le fait que des gens soient prêts à payer, à nous accorder une valeur monétaire pour accéder à nos corps, peut faire illusion de réparation narcissique ». Oui, ce consentement apparent est très souvent fait de violences sexuelles, psychologiques, physiques subies très jeunes, d’un état de santé très dégradé et situations de handicap, donc de scolarités difficiles, de fréquentation de milieux marginaux et de précarité. Racisme, effets du colonialisme et violences à l’égard des peuples autochtones font aussi partie des vulnérabilités exploitées dans la prostitution. Celle-ci n’est pas un choix, c’est une absence de choix. C’est pour cela que les personnes prostituées sont considérées par la loi comme victimes du système prostitutionnel.
Enfin le système prostitutionnel est construit sur la reconnaissance enracinée partout de la légitimité (ou mal nécessaire) de la satisfaction de la pulsion sexuelle des hommes et de l’assignation d’une catégorie de population, les prostitué·es (essentiellement des femmes), à cette fonction de vidange. Les autres femmes sont censées ainsi être protégées des débordements sexuels masculins. Ce qui est faux, puisque l’existence de la prostitution ne réduit pas le nombre de viols.
Les clients de la prostitution comme les violeurs de Gisèle Pélicot consomment les corps offerts sans se demander comment ils sont arrivés à être ainsi offerts ni quelles seront les conséquences de leurs actes sur les femmes qu’ils violentent. Leur égotisme n’est pas remis en question dans une société qui voit encore d’un œil indulgent l’usage marchand des corps des femmes. Ainsi la prostitution entretient la culture du viol.
Valider la prostitution comme une activité normale revient à décider de faire sortir de l’humanité les personnes prostituées. Elle doit donc être abolie en tant que système, sans aucun doute, en étant traitée comme les autres violences sexuelles et sexistes et intégrée dans le continuum de violences contre les femmes. Elle doit être considérée comme un système qui organise des viols collectifs avec la mise en place d’une pénalisation égale à ceux qu’encourent les violeurs aujourd’hui. Sinon il y a injustice pour les victimes et incohérence dans le droit.
Geneviève Duché, ancienne présidente de l’Amicale du Nid, dans l’Humanité.