Parole de personne accompagnée:Kévine MB, accompagnée à l’Amicale du Nid à Grenoble

Parlez-nous de vous

 

Originaire du Congo-Brazzaville, j’ai commencé la prostitution là-bas, très jeune, j’étais mineure, j’avais 17 ans. J’avais des problèmes au Congo qui m’empêchaient de rester dans mon pays, j’ai donc dû aller au Sénégal. Arrivée au Sénégal, j’ai été contactée par une dame qui m’a proposé un boulot à Dubaï, c’était pour être femme de chambre. J’ai compris en arrivant là-bas qu’il s’agissait de prostitution. Les nigérians qui m’ont reçue m’ont pris mes papiers et m’ont forcée à travailler dans la rue, j’ai été violée, parfois même filmée. Dubaï est différent de la France : la police est très présente, ce n’était pas facile. Je n’avais plus de papiers, plus de visa, c’était compliqué de rester là-bas.

 

Ils m’ont proposé de venir en France, d’y venir travailler pour rembourser une dette apparemment contractée par la dame qui m’avait « vendue » : je n’ai jamais eu le montant exact de cette dette. Ils ont ensuite fait des faux-papiers pour mon arrivée en France. On m’a emmenée de Dubaï à Bahreïn, puis direction Milan. Je me suis ensuite retrouvée à Lyon. A Lyon, je me prostituais de nuit, car comme je parle français, je ne devais pas sortir de jour.

J’ai ensuite réussi à m’échapper lorsque j’étais avec un client, je lui ai expliqué ce que j’ai vécu, notamment mes traumatismes. Il a eu pitié de moi et m’a laissée, en me donnant le numéro et le nom de l’Amicale du Nid à Lyon, mais il ne m’a pas accompagnée à la police, de peur d’être arrêté.

Je me suis retrouvée à l’Amicale du Nid à Lyon en octobre 2022, j’ai pu rencontrer une juriste qui m’a conseillée de demander l’asile, ce que j’ai fait en décembre. Comme je n’avais aucun endroit où dormir, l’Amicale du Nid m’a envoyée chez les sœurs, au couvent à Bellecour. (…).

Grâce à une copine, j’ai appris que j’avais une cousine à Lyon, et une à Grenoble. Ma cousine lyonnaise a donc accepté de me recevoir, puisqu’elle était seule avec ses enfants.
A l’Amicale du Nid à Lyon, on m’a indiqué qu’un établissement existait aussi à Grenoble, j’y suis donc allée en avril 2023.

 

Comment ça se passe depuis avril 2023 ?

 

Une fois arrivée à l’Amicale du Nid à Grenoble, j’ai très vite commencé à faire des activités, depuis je viens deux à trois fois par semaine.
Dès qu’il y a des activités je viens. Nous recevons beaucoup d’associations, par exemple le Centre Gratuit d’Information, de Dépistage et de Diagnostic (CEGIDD) de Grenoble qui vient nous parler de virus, de protection, tout en nous permettant de faire plusieurs dépistages comme celui pour l’hépatite B par exemple.
Je suis également bénévole à l’hôpital auprès des personnes âgées, cela fera un an en octobre prochain. Actuellement nous préparons les rencontres associatives de l’Amicale du Nid.
L’année dernière, nous avons enregistré un podcast intitulé « l’emprise et système prostitutionnel ».
En avril 2024, nous avons été interviewées avec plusieurs femmes accompagnées, par le Dauphiné Libéré.

 

Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

 

Je ne me sens pas super super bien, je sens quand même que j’ai encore un léger poids que j’essaye d’évacuer, mais j’ai pas mal de réponses aux questions que je me posais.
Dans le temps, je prenais les clients comme des « gentils », je voyais ça comme un échange, je lui donne le corps et il me donne l’argent. Maintenant j’ai compris beaucoup de choses, ce qui m’aide à me relever petit à petit.

J’ai également écouté d’autres témoignages de femmes qui s’en sont sorties, qui ont réussi à faire autre chose, ça donne espoir et ça permet de croire qu’il y a une lumière au bout du tunnel.

 

Comment vous voyez-vous dans un an ?

 

Je me vois bien continuer le bénévolat à l’hôpital, j’aime ça et même si ce n’est qu’une fois par semaine, ça m’apporte beaucoup, ce que j’aime c’est le contact avec les gens, le partage.
Je suis en attente de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA), j’espère avoir une réponse positive pour mes papiers, cela me permettra de trouver un travail et un chez-moi.
Je me vois bien rester à Grenoble, ici j’ai l’air pur, mais pas à Lyon car j’ai peur, ni à Paris car je trouve que les gens sont trop stressés, on dirait que c’est encore le confinement !
Quand je suis arrivée en France, j’étais renfermée sur moi-même, je ne parlais pas alors que ma personnalité c’est tout l’inverse…
Mais dès lors que je suis arrivée à l’Amicale du Nid à Grenoble, je me suis sentie respectée et appréciée, on m’accueille comme je suis et même quand je ne suis pas là, on cherche à avoir de mes nouvelles, ça me fait très plaisir.
Une fois une dame m’a posée la question : « où sont vos parents ? » cela m’a fait verser des larmes, je me suis sentie très petite, comme une enfant.
Une personne m’a dit que j’irai loin dans mon futur, et je me suis rappelée que j’étais loin de chez moi et que je devais faire les choses comme il faut, c’est ce que j’essaye de faire aujourd’hui.