L’Amicale du Nid auditionnée par la CNCDH sur la prostitution des mineur·es

Marie-Hélène FRANJOU, présidente et Delphine JARRAUD, déléguée générale, étaient auditionnées le 2 février 2021 par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme dans le cadre de la préparation d’un avis sur l’exploitation sexuelle des mineur·es en France.

 

Ont notamment été rappelés les principes d’action suivants :

  • Les violences sexuelles s’inscrivent dans un continuum entre personnes mineures, jeunes majeures, adultes.
  • La prostitution des mineur·es fait partie intégrante du champ des violences sexuelles à l’égard des enfants et doit être médiatisée comme telle.
  • Les mineur·es en situation de prostitution sont des victimes, qui doivent être protégées : toute personne mineure prostituée, même occasionnellement, est en danger et relève de la protection du juge des enfants au titre de la procédure d’assistance éducative.
  • La prostitution existe, de surcroît celle des mineur·es, car des « clients » pédocriminels (des hommes) achètent des services sexuels sans aucune conscientisation et volonté de conscientisation des violences du système prostitutionnel, de la passe et, en général, en niant la « connaissance » de la minorité de la victime, voire en la recherchant. En outre, ils déclarent très souvent ignorer la loi de pénalisation des acheteurs de 2016 en général, en particulier concernant les victimes mineur·es.
  • La prostitution des mineur·es n’est pas une « expérience sexuelle » ou une « conduite à risque » relevant de la recherche de « limites » et « du champ des possibles » de la jeunesse comme en matière de conduites addictives par exemple. La prostitution n’est jamais une sexualité pour la personne, elle ne l’est que pour l’acheteur.
  • Un certain nombre d’institutions œuvrant auprès des jeunes se retrouvent en difficulté, comme l’ASE et la PJJ, confrontées à des situations individuelles très difficiles de jeunes disposant de peu de repères, compétences psycho-sociales et soutien parental : ces professionnel·les sont fréquemment démuni·es notamment face à des jeunes en fugues répétées, qu’ils·elles sanctionnent par des expulsions des établissements, ou transferts vers d’autres, sans avoir eu les moyens de repérer, parler, « mettre au travail éducatif » la problématique prostitutionnelle, par manque de formation et de leviers d’action.

 

Nous avons présenté les recommandations suivantes :

  • Etat des lieux : Quantifier et qualifier le phénomène prostitutionnel des mineur·es en France par des diagnostics territoriaux.
  • Prévention primaire :
    • Déployer des campagnes nationales à destination du grand public rappelant la pénalisation des clients et des proxénètes et réseaux de TEHES et la violence du système prostitutionnel, dans le cadre plus large des campagnes de prévention des violences faites aux enfants et violences faites aux femmes.
    • Intégrer effectivement le risque prostitutionnel dans les thématiques à aborder dans les séances de prévention concernant la « vie sexuelle et affective », dont tout.e élève doit bénéficier au cours de sa scolarité[1], notamment fondé sur l’égalité filles-garçons, prévenant le devenir « client », proxénète et les situations de prostitution[2].
    • Renforcer toutes les mesures visant à faire reculer les mauvais traitements aux enfants dont les violences sexuelles particulièrement répandues et dommageables, notamment les incestes, ce qui nécessite une augmentation des capacités des services départementaux de protection maternelle et infantile.
    • Soutenir la parentalité en général[3], les parents des enfants victimes de la prostitution, parents en situation de prostitution (pour prévenir les risques transgénérationnels et accompagner spécifiquement des enfants de personnes en situation de prostitution, co-victimes des violences subies par leur mère[4]).
    • Rendre effectif le non accès aux images pornographiques des mineur·es[5].
  • Prévention secondaire : repérer et protéger

    • Sensibiliser et former des acteur·rices de l’enfance et de la jeunesse (Education nationale, services de santé scolaire et étudiant·es, mutuelles étudiant·es, bureau des étudiant·es, professionnel·les de l’ASE, de la PJJ, des maisons des adolescent·es…) au repérage des enfants en souffrance dont le comportement change brutalement, ne pas banaliser les fugues de jeunes accueilli·es dans des foyers de l’enfance ou de PJJ, s’interroger sur les achats luxueux faits par un·e adolescent·e…
    • Former les professionnel·les au repérage mais aussi au signalement (la justice, travailleurs sociaux, médecins, police, éducation nationale doivent inventer un « travail ensemble »).
    • Partager le secret professionnel pour certaines professions et rendre obligatoire à tous professionnels en contact avec mineur·es le signalement.
    • Mettre en œuvre la protection des personnes mineures en situation de prostitution qui sont des mineur·es en danger, avec mesure de protection par le juge des enfants au titre de la procédure d’assistance éducative (Loi de 2002[6]).
    • Renforcer les moyens de l’ASE et de la PJJ : les jeunes en difficulté aujourd’hui sont les adultes demain.
    • Mettre en place des protocoles partenariaux dans chaque département pour harmoniser et faciliter la prise en charge de l’enfance en danger, en danger de devenir prostituées ou effectivement en situation de prostitution.
    • Disposer de la mention des items « prostitution », « risque de prostitution » et « traite des êtres humains à visée d’exploitation sexuelle » dans les fiches des cellules de recueil des informations préoccupantes des conseils départementaux et le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (119).
    • Sensibiliser les acteur·rices d’Internet et de l’hôtellerie / AIRbnb… pour une prévention du devenir proxénète et un repérage de situations.
    • Poursuivre et pénaliser les « clients » /acheteurs dans l’espace public comme sur Internet.
    • Poursuivre et condamner les proxénètes.
  • Prévention tertiaire : traiter la situation et comme dans toute situation d’enfant protégé
    • Evaluer de manière pluridisciplinaire la situation familiale des enfants protégés.
    • Mettre en œuvre un bilan de santé global selon les préconisations du médecin de la protection de l’enfance du département.
    • Mettre en œuvre un soutien psychologique, éducatif et scolaire des enfants protégés.
    • Créer des lieux d’accueil de jours et de lieux de nuit[7] pour les mineur·es souvent en fugue (sans les spécialiser « mineur·es en situation de prostitution » pour ne pas les stigmatiser).
    • Penser des structures de jour pour accompagner les victimes de violences sexuelles, dont la prostitution, par de l’accompagnement éducatif mais aussi par le soin (psychotrauma).
    • Proposer des séjours éducatifs dits de ruptures afin d’éloigner d’un environnement toxique des mineur·es.

 


[1] Code de l’éducation, article L312-16 et L312-17-1-1 : « Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène. Ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l’apprentissage du respect dû au corps humain. […] Une information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps est dispensée dans les établissements secondaires, par groupes d’âge homogène. »

[2] Eduquer les enfants pour prévenir la mise en prostitution des filles et le proxénétisme des garçons :

Avant le repérage, faire de la prévention primaire destinée à tous les enfants, depuis le plus jeune âge : la prostitution est une violence sexuelle parmi les maltraitances sexuelles à enfants. Dès le plus jeune âge des enfants, leur apprendre le respect de leur propre corps et de celui de l’autre, leur apprendre l’égalité entre les filles et les garçons. Ce qui implique une éducation non sexiste (questionner les préjugés de genre tels que : les hommes doivent être forts, puissants, insensibles, les femmes doivent être faibles, protégées, et sacrificielles ; mixité des jouets et jeux etc.)

Avancer progressivement dans un programme d’éducation à la vie affective et sexuelle adapté aux différents âges et en partant des interrogations des enfants, de leurs perceptions et de leur vocabulaire.

Apprendre aux enfants que personne n’a le droit de toucher leurs parties intimes, que la loi l’interdit. Qu’ils ont le droit de refuser des touchers qui ne leur plaisent pas.

Un grand nombre d’enfants ont accès très tôt à la pornographie : les faire parler des images qui auraient pu les choquer eux ou des ami·es. A partir de là resituer les relations respectueuses entre femmes et hommes, entre garçons et filles.

En partant de leurs interrogations et perceptions, amener les enfants, garçons et filles à comprendre ce qu’est la prostitution. Et être très clair : personne n’a le droit d’acheter un acte sexuel à un enfant ou à un adulte, en donnant un cadeau ou de l’argent ou l’accès à un service.

[3] Par exemple l’intérêt de l’accompagnement attentif et bienveillant des futures mères, les questionner sur l’éventualité de violences qu’elles auraient subies ou qu’elles subissent comme acte de prévention autant pour elles que pour leur futur enfant.

[4] Cf. projet national déposé le 15 janvier par l’Amicale du Nid dans le cadre de l’appel à projet France Relance 2020-2021, avec renfort des équipes en éducateur.trices jeunes enfants et psychologues.

[5] Les études menées sur les vidéos de pornographie témoignent qu’elles sont de plus en plus extrêmes, tendant à mettre en images des scènes de tortures sexuelles à l’encontre des femmes (Gail Dines, Pornland), tendant à montrer que les femmes jouiraient de ces tortures, montrant une image des femmes particulièrement dégradée. Regarder ces vidéos a inévitablement un impact sur le spectateur, d’autant plus grand qu’il est jeune.

[6] Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale

[7] A noter, le foyer expérimental ASE de l’association ESSOR en Ille-et-Vilaine propose un hébergement ouvert 7/7 24/24 permettant une « gestion » accompagnée des fugues (DAA – Dispositif Accompagnement Atypique), sans cibler les seul·es jeunes en situation de prostitution